Brigitte, tu me fais chier !...
Il manquait à cette société de conventions établies sur l’usage de lieux communs, une qualité essentielles en rhétorique : le style poli.
C’est ainsi qu’on peut se conduire comme un sauvage dans des entreprises ou au service de l’Etat, acculer des gens au désespoir et en mettre d’autres carrément hors de chez eux, peu importe si l’acte qui vous vire vous fait tomber des nues et si l’ordre de virement vous enjoint à payer dans les trente jours votre dette à l’Etat, ce qui compte c’est « je vous prie de croire à mes sentiments distingués ».
Le bon usage nous recommande de soigner l’élocution et l’action, en cas d’injonction verbale. En plus, il est souhaité l’invention et la disposition. L’exquise délicatesse va de soi. « La politesse s’oppose à l’aspect grossier et rude de ceux que la vie sociale n’a point civilisés ; elle est justement le signe social de l’honnêteté ; elle relève bien d’un art total de la vie raffinée » (1)
Au contraire, le style populaire relève du parler du peuple. Le caractère populaire est un vice qui blesse à la fois ce qui est convenant et ce qui est bienséant. « C’est que le populaire est d’emblée synonyme de bas » (1).
Pourquoi ?
Les auteurs du dictionnaire vous l’écrivent : « Le parler du peuple est historiquement le parler de la masse des incultes : et, très rhétoriquement (sic), cette inculture est solidaire d’un déclassement à la fois moral et social. Le style populaire est le signe global d’une grossièreté intellectuelle, d’une incurie technique, d’une rustrerie sociale, et d’une vulgarité morale. (1) »
Ah ! que la prétérition est belle chez les auteurs. Oui, bien sûr, le peuple est grossier, puisqu’il est déjà par nature vulgaire.
Voilà bien le rôle d’un dictionnaire qui est celui de donner un avis en général indiscutable. Il apparaît dans tous les discours du genre qui n’ont de cesse d’accabler ceux qui sont déjà dans le malheur.
Cette attitude correspond au mot curieux « paryponoïan » qui en littérature s’appelle un lieu, oserais-je dire sans tomber dans la cuistrerie des auteurs, moi qui d’habitude abonde justement dans le grossier et le vulgaire ?
Un bel exemple, n’est-ce pas, ce passage des Contemplations de Hugo, à propos d’Horace et du mot curieux :
Marchands de grec ! marchands de latin ! cuistres ! dogues !
Philistins ! magisters ! je vous hais, pédagogues !
Car, dans votre aplomb grave, infaillible, hébété,
Vous niez l’idéal, la grâce et la beauté !
Car vos textes, vos lois, vos règles sont fossiles !
Car, avec l’air profond, vous êtes imbéciles !
Car, vous enseignez tout, et vous ignorez tout !
Car vous êtes mauvais et méchants ! – Mon sang bout
Rien qu’à songer au temps où, rêveuse bourrique,
Grand diable de seize ans, j’étais en rhétorique !
Etc…
On pouvait croire le débat clos depuis qu’un ministre de Sarkozy (Dimanche 11 heures sur Europe 1) parle « des hommes ‘déloyals’ » et d’addictation’ à propos d’accoutumance sévère.
Eh bien ! non, Brigitte Grouwels plaide pour un point de rencontre visant à mettre en lumière la violence verbale et permettre des poursuites pénales. "Les femmes qui portent plainte pour violence verbale à la police retournent chez elle sans résultat. Comme leurs déclarations ne comportent ni preuves ou traces visibles, les poursuites sont nulles dans la plupart des cas", explique-t-elle. "Les attaques verbales peuvent avoir des conséquences néfastes. Les femmes évitent ainsi certaines rues ou places. La victime peut subir des troubles psychiques. »
Passant à la vitesse supérieure, il lui semble que «l'agression verbale peut mener à l'agression physique". Evidemment, vue sous cet angle la chose est répréhensible et motivée.
Brigittre Grouwels fait le parallèle avec le harcèlement qui est devenu punissable et qui se rapproche de l'agression verbale.
C’est quand même pousser un peu loin la comparaison.
Le palier suivant consisterait évidemment à empêcher tout propos un peu vif, et toute polémique à connotation sociale et politique à être dite.
Ce serait, évidemment, resserrer l’opinion déjà concentrée sur un hypercentre, le bien dire et le politiquement correct.
Brigitte, tu me fais peur !
Richard III, ce grossier et vulgaire personnage, obligé de fermer sa gueule !
Brigitte, tu me fais peur et tu me fais chier…
Et ça c’est bien une épanorthose de rhétorique, figure assez délicate, mais combien nécessaire !
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1. Dictionnaire de rhétorique et de poétique, in La Pochotèque, 1996.
Commentaires
D'après ton "dictionnaire de rhétorique et de poésie" , la politesse serait le signe social de l'honnêteté.
Le dicton populaire, lui, nous dit : "Trop poli pour être honnête!"
Postée le: Hermione | décembre 1, 2008 11:39 AM
"Méfions-nous des dictons populaires, c'est moi qui voul'dit............."Déloyals et addictation, c'est comique, en parlant de voul'dit, je vais me régaler ce soir en regardant Souchon....... Ca, c'est un type que j'adore"
le "Charmant" Alain (non, pas le philosophe) quoiqu'à sa façon, il en fait de la belle philosophie. Dorebul
Postée le: Dorebul | décembre 1, 2008 08:01 PM