Rendez-nous nos dieux !
Nos petites histoires de coucherie dont le cinéma raffole ne datent pas d’hier.
Qu’avons-nous inventer en somme ? Dans le domaine du sexe pas grand chose.
Ce n’est pas Ernest Cafardel, l’instit de Clochermerle qui contredira.
« L’instruction, quand même, ça se reconnaît » dira la mercière en enfilant ses bas, après une après-midi dans les bras de celui qui, d’habitude, délivre des certificats d’étude.
Quand nous naviguions encore dans la canopée avant de poser un orteil soupçonneux sur ce qui allait devenir notre plancher des vaches, nous devions déjà être farauds, vicieux et menteurs. Ces qualités qui feraient nos défauts bien après, n’étaient plus ce qu’elles avaient été au temps où l’aède Homère en fit une somme dans son Iliade & Odyssée, fin du VIIIme siècle avant J.C.
Entité collective ou individu, l’auteur met en scène un collègue aède, dénommé Démodocos, dont la verve nous est parvenue, avec autant de précision que s’il avait été du XIXme siècle, lorsque le président de la république, Félix Faure, expira dans les bras de sa maîtresse, la belle Madame Steinhel, suivant en cela Philippe d’Orléans, un siècle auparavant.
-Avait-il sa connaissance, demandera le curé de la paroisse au portier de l’Elysée.
-Non, répondit le brave homme, elle est partie par la porte de service.
Démodocos afin de réjouir les Phéaciens (bons coureurs, marins excellents, qui n’aimaient rien tant que le festin, la cithare, la danse, le linge frais, les bains chauds et l’amour) entretint l’assemblée réunie par le roi Alkinoos, des mésaventures amoureuses d’Arès, le dieu révéré de la guerre, et d’Aphrodite, déesse de l’amour, mariée, le croirait-on, à Héphaïstos, dieu forgeron, et fort laid.
C’est déjà la formation du triangle : le cocu, la femme et l’amant qui firent les beaux soirs et le font encore d’Eugène Labiche à Michel Houellebecq.
N’y a-t-il pas pire tentation que montrer son derrière à quelqu’un qui n’a pas le droit d’en apprécier la vision ? Quand on sait que le cocu est vieux et contrefait, alors que l’amant est conquérant, jeune et beau, comment ne pas avoir pour ces histoires, l’indulgence de celui qui balance entre deux âges ?
L’aède nous chante qu’ « Aphrodite est très belle, si belle et dorée que tous les dieux eussent aimé partager sa couche » ( Od. VIII).
En ces temps anciens, mais très libres, donc modernes par certains côtés, tout en étant des dieux, ceux-ci n’en étaient pas moins hommes, capables de goûter des plaisirs de la chair avec une vigueur quasiment céleste, c’est-à-dire illimitée.
Zeus, qui ne se privait pas de nouer des relations avec de belles mortelles, avait même une grande indulgence pour les femmes adultères. Beaucoup plus tard, Louis XIV, son émule, légitima ses bâtards sans que personne n’y trouvât à redire, si l’on excepte ce collet monté de Saint-Simon.
Mais les dieux ont vent de tout.
Il est certain que Zeus et les autres savent combien nos esprits étroits luttent tous les jours pour effacer leurs exploits ; alors qu’ils sont bien supérieurs à nos dieux modernes et ridicules.
Qu’il n’y en eût qu’un seul par religion rivale doive leur paraître bien étriqué.
Voilà Héphaïstos cherchant un stratagème…
Aujourd’hui encore, quand un stratagème réussi, c’est un drame. Quand il échoue, c’est un vaudeville.
Depuis les temps de l’Olympie, les deux font des variantes et, multipliant les pointes du triangle, en font un multigone.
Notre dieu forgeron fabrique un filet invisible, aussi fin qu’une soie d’araignée, mais très résistant. Il feint d’être retenu pour un rendez-vous urgent et part toute affaire cessante.
« Vite au lit, ma chérie ! Quel plaisir de s’aimer » dit Arès à Aphrodite.
Vous vous voyez, dieu de la guerre et invincible, abandonner votre kalachnikov contre une paroi des confins afghans, pour entrer dans le lit d’une sultane, au nez et à la barbe de Ben Laden ?
« Il dit et le plaisir du lit prit la déesse ! A peine couchés, l’ingénieux réseau du dieu leur tomba dessus. » (Od. VIII toujours)
Héphaïstos n’en peut plus de colère et remontant les champs élyséens s’en va tempêter auprès de Zeus.
Démodocos, contrairement à nos mœurs et à nos aèdes lugubres, n’oublie pas ses devoirs de conteurs.
Et c’est en cela que près de trois mille ans plus tard, nous pouvons dire que les Anciens étaient bien plus évolués que nous ; car, rameutés par le forgeron, les dieux accourus et rassemblés autour de la nasse dans laquelle se débattaient Aphrodite et Arès « …regardant la scène, furent pris d’un rire inextinguible (p. 326).
Poséidon paya la rançon que réclamait Héphaïstos pour la libération d’Arès.
Des amours illégitimes naquirent Eros et Antéros (l’Amour réciproque), Deimos et Phobos (Epouvante et peur) et même, pour faire bonne mesure, Priape, protecteur de la vigne et des jardins.
Bon sang, ce qu’on a perdu avec cette religion-là ! Et comme celles qui lui ont succédé sont lugubres et faites pour nous faire avoir peur ! Et comme elles devraient être sacrées, les vestales de 2009 qui, contre vents et marées, y sacrifient encore !