Le temps des grands menteurs.
Je ne comprends plus !
La duplicité a des limites…
Pendant dix mois de l’année, on n’entend que la chanson des bourreaux de travail à la gloire de leur métier. Passe encore pour les tâcherons qui sans les coups d’encensoir et les hautes performances rejoindraient les files du chômage, mais les autres ? Ceux qui ont des métiers « valorisants », artistiques, à haute teneur d’initiatives ?
Plus que les deux mois de l’année : juillet et août, là où l’on est sûr qu’il ne se passera rien, attendu que le personnel est en rase campagne, déjà, vers la fin mai, début juin, on sent des lassitudes dans l’audio-visuel, des intérimaires ajoutent timidement leurs élucubrations à celles de plus en plus clairsemées des rédactions fantomatiques, les théâtres ont des relâchements dans la reprise, la script du régisseur n’a plus tant de bleus aux fesses depuis que son patron cherche un avion pas cher pour son trip avec sa bourgeoise, bref les amoureux infatigables du boulot, contrairement aux déclarations d’amour du métier qu’ils exercent, foutent le camp moralement, et pendant qu’ils vous écrivent ou vous parlent dans les étranges lucarnes de la formation du nouveau gouvernement, moralement ils sont partis, ils font de la planche à voile entre Deauville et le Tréport ou pire, entre Saint-Tropez et La Napoule.
C’est ainsi. La société exige du mensonge pieu, de la belle menterie pour les galleux que nous sommes.
Les ratatinés du compte bancaire, ceux qui ne dépassent pas Colonster ou Oupeye pour leurs vacances, peuvent se brosser pour la variété qui ne soit pas une rediffusion, trouver un journal qui fasse plus de douze pages de lectures utiles ou une soirée-débat sur la société de consommation. Ils sont bons pour une giclée de la Grande vadrouille ou d’un Gendarme… Pendant les deux mois consacrés aux apéritifs bord de plage, il n’y a plus personne nulle part.
A la voir se trémousser d’impatience, sourire et bâcler le journal-télévisé, on comprend que la vedette locale s’est déjà branchée à Bormes les Mimosas. Vous avez devant vous des clones, des illusions d’optique…
Les épaves qui restent s’accrochent au « Spécial tour de France » en se foutant de savoir si vous êtes « sportifs ». Ils craignent comme la peste, une famine dans une réserve humaine d’Afrique ou le réveil d’un Ben Ladden qui les empêcherait de foutre le camp.
Mieux, on dirait les stars des feuilletons, pourtant en bobines des mois, sinon des années à l’avance, dans les mêmes transes. Elles ne tortillent plus du cul comme d’habitude. On les sent ailleurs, à se faire palper la silicone par des beaux hommes qui n’arrêtent pas quand l’autre abruti hurle « coupez » et repiquent au truc sans rechigner quand la mignonne susurre « on la refait ».
Les clowns maison, les Dechavanne, Arthur, Sébastien et autres gugusses à la pêche d’enfer, sont à la carte postale de leur séjour sur la côte. Ils nous les dédicacent, les sadiques. C’est tout juste s’ils ne nous donnent pas la température de l’eau à Monaco. Sous le smoking, le strass et les paillettes, on devine le paréo, le string à fleurs des survivants. Seul Carlos ne nous raconte pas des salades, puisqu’il est en vacances toute l’année, sauf les deux mois d’été qu’il travaille !
Le porno de Canal plus ramollit de la crampe. La gagneuse n’a plus le cœur à l’ouvrage. A l’orgasme on dirait une ouvreuse qui n’a pas eu son pourboire. L’éjaculateur professionnel devient précoce. Le pot de yaourt de remplacement s’est renversé dans le frigo. L’accessoire fait défaut. Le régisseur de plateau est un sale con. Bref, tout le monde s’en branle, ce qui est toujours une déperdition et un manque à gagner des artistes.
A la défonce, la vedette pense à la liste des commissions à Carrefour. Comme la prise de son est en direct, il faut couiner juste, ni avant, ni après que Totor ait mis la sauce. Elle regrette le temps du sous-titrage, quand l’auteur devait prendre ses responsabilités. La haute valeur du travail bien fait lui échappe. Elle regrette son manque de culture à l’impro. « Ah ! oui, prends moi comme une bête » est interdit d’antenne depuis que le patron a décidé qu’il fallait trouver autre chose. Quant à Totor, chaque fois qu’il dit « Je sens que ça vient », il est à l’amende.
Ils pensent aux vacances lui dans une abbaye cistercienne, elle dans une traversée en solitaire de l’Atlantique.
Le voyeur, n’en parlons pas. Il a misé sur le bouquet pour se finir vautré au bonheur sur le divan. Lui aussi est à la dérive. Comme la main droite n’en veut plus, il essaie avec la gauche, sans conviction. Il monterait bien voir Ernestine au pieu, histoire de sortir du cathodique, à la pensée du dentier noyé sous le cachet de détartrant effervescent et le verre sur la table de nuit, il a les miquettes et s’endort brut de décoffrage sur la carpette.
On est en plein raz de marée, l’alerte est générale, les vacances sont aux trousses de l’humanité laborieuse.
Je ne parle pas du congé payé de base, celui qui ne pense qu’à ça toute l’année et qui s’en va bouchonner tous les étés du côté de Millau, qui encombre sous Fourvière, tunnel ou pas, et qui fonce vers des frontières pour plus qu’on lui parle de l’horloge pointeuse et de la gueule du patron qui chronomètre les stations lavabo !
Les plus emmerdés sont les ministres de la Belgique joyeuse. Il faut bien que le pays soit gouverné, qu’ils disent. Ils vont répandant la nouvelle qu’ils prendront des vacances plus tard. Comptez sur eux, après le discours lénifiant, le professionnalisme des sourires convaincus, les bougres sous leur enveloppe charnelle, ont mystérieusement disparu. Le Parlement, la rue de la Loi sont de vastes musées Grévin. Gros Loulou est en cire fondante, derrière la tenture sa voix enregistrée sort d’un radiocassette. Les flots de vaseline au bon sens habituel ramollissent les cerveaux. Heureusement que personne n’écoute.
Quant aux autres, quand ils tombent la veste et répondent en bras de chemise que tout est on ne peut mieux, c’est un signe. Ils pêchent déjà aux gros dans les caraïbes. Certes ils cherchent encore quelques milliards, mais ce n’est pas grave. Vous recevrez la facture en septembre, à la rentrée. Merde ! on va bien trouver le moyen de faire plaisir à tout le monde, ne serait-ce que pour deux mois, juste le temps pour que les experts trouvent autre chose.
Bref, le pays lui-même est parti. Il n’y a plus de Belgique, mais une sorte de no man land investi par des étrangers aux endroits stratégiques, les monuments et les brasseries. Eux se fichent de savoir s’il y a quelqu’un dans la maison en dehors du gardien de musée et de la serveuse accorte de la rue des Bouchers.
C’est le jeu de dominos d’un pays l’autre. Il y a comme cela des roulements d’occupation des sols qui se passent au mieux, des échanges sans problème et des participations à la vie collective du fond du cœur. Sharon devrait voir comment ça se passe l’intégration en juillet, avant de caser ses touristes chez les Palestiniens.
Reste à savoir comment concilier cette attitude générale avec les déclarations sur la sainteté du travail pour tous, dans la joie et le bonheur ?
Il doit y avoir un gros mensonge quelque part.
Evidemment, si on se mettait à dire la vérité dans une société aussi faux derche que la nôtre, la vie sociale ne serait plus possible.
Ce qu’on est menteurs, tout de même !