Talk show recherche candidates.
Cello Steinrak, c’est Guy Lux : une idée toutes les cinq minutes. On voit où ça a conduit l’autre, le pionnier… Lui n’a pas l’intention de claboter. Le PAF a besoin de lui.
Sa dernière idée : Colle en tas. Le produit est vendable, en regard des nanards actu.
Dans une île déserte, la production construit un loft. Steinrak sélectionne dix hommes et dix femmes. Lui, c’est les femmes… question de feeling. Les hommes, c’est Michou, un artiste qui chante comme Zarah Leander : Schön war die Zeit da vir uns so geliebt, aux nostalgiques de la Wermacht.
Le principe : on installe les candidats, aussitôt on les colle et les décolle comme des siamois suivant l’humeur du public. Ils doivent rester collés d’une émission l’autre, même pour pisser. On a prévu des couples homos dans le cas où les sondages donneraient un bon pourcentage de téléspectateurs gay ! Une roue qui tourne avec des cases ventre, fesse, main, épaule, dos détermine l’endroit où on les colle.
Dès l’annonce parue, c’est la folle demande. Les bureaux sont pris d’assaut par les mères en furie qui poussent leurs fifilles comme un caddie au supermarché. A l’entrée, le tri sévère. En dessous de dix-huit ans, pas question. Un producteur tôlard, ça la fouterait mal.
Faut d’abord qu’il leur reluque la couenne aux candidates, le Cello.
Il étudie les folâtres, les artistes et les folles du berlingot. C’est l’émeute dans les couloirs, pire que les soldes.
Elles font la file, la tête près du portable, qu’elles jactent un peu comme elles vont lofter grâce à Monsieur Steinrak, le si gentil producteur. Juste une petite formalité, l’admission… En attendant, elles se mouillent un peu par avance, que le gros doigt les finisse.
Elles mémorisent la goualante à Sardou, zizique Jacques Revaux : « L’école du show business », épreuve indispensable, juste avant de bouger le slip pour que Steinrak se détermine.
Elles entrent on sait déjà
Qu’elles ont une jolie voix
Au tout premier baiser
Elles vont enregistrer
Et là sur la moquette
Elles sont déjà vedettes.
Les mères font répéter. Les accents du sud-ouest sont impitoyablement repris. Déjà que « moquette » c’est dur à dire.
Au cri de « À la suivante », la mère pousse l’impétrante dans le dos. Celle qui sort, on la voit pas. Elle se rhabille dans l’escalier de service.
Steinrak est pressé. Il a son compte. Il ne sait plus comment faire. Voilà trois heures qu’il a plus remonté son pantalon.
Merde ! Il était fait pour les départs, les voyages, la poésie. Et puis, il est sans capote. La dernière impétrante pleure, supplie. L’audition est finie.
Les mères ne l’entendent pas de cette oreille. Elles grondent dans le vestibule. C’est une honte de même pas voir l’artiste au chant, la si jolie voix, juste ce qu’il faut pour la chanson de Revaux, la diction, le détail des paroles de Sardou.
Steinrak file par l’escalier de secours. Une rusée qui dans la file n’aurait pas pu être visionnée avant quatre heures du matin, a senti l’oignon et se pointe sur le palier.
Elle le supplie. Elle comprend pas cette manie de Steinrak de fuir ses responsabilités. Ils descendent ensemble les marches en titubant, ivres de mots.
La libération de la femme aidant, elle en vient à la confidence au troisième étage. Au rez-de-chaussée Cello sait tout : le lourd handicap du mari insupporté après deux ans de bonheur, tout au sédatif, trop sensible, les nerfs, dérangement sexuel, il peut voir, toucher.
Ça demande de la parlote et des gesticulations une vie pressée. Elle sait y faire pour rassurer un producteur, de sa trempe, de son style, de sa classe.
Les petites coincées avec les mères à l’étage de « Colle en tas production » aux fenêtres voient d’elles-mêmes que c’est la dernière de la file qui tient la cote. Ce n’est plus qu’un cri de rage qui fait lever les têtes dans la rue.
« Salaud, ordure… Ah ! elle est belle la télé… Maquereau…Dégénéré »
Jamais elles auraient laissé le sagouin mettre les pattes sur leurs fifilles ! Faut les traîner au tribunal pour mœurs, des monstres pareils.
Ah ! Ça demande des ruses le métier.
Dans le taxi, l’effrontée de l’escalier de secours décline son CV, elle s’appelle Térésa, oui comme la mère, et se met en devoir de passer l’audition.
Elle en veut, là tout de suite. Le chauffeur, c’est le public. Elle a pas peur, mais vu l’exiguïté du local, elle peut pas chanter avec les gestes. Juste un peu fourrager dans le slip du producteur, question de voir si son talk-show donne des résultats.
Comme elle se trémousse, lui pense qu’elle devra se mettre au régime et qu’elle devra titiller du pied des balances au désespoir de pas perdre du poids plus vite, tandis que lui, son fort abdomen en avant, il se foutra de perdre un gramme à la Tour d’Argent.
Mais les télévoyeurs aiment les rondeurs. Il la colle déjà à un squelette que Michou a auditionné. C’est un faux maçon qui louche un peu mais qui a une belle gueule. Il a signé son contrat d’une croix. Ah ! avant que les foules baveuses l’adorent, il y aura du boulot.