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T’as l’feu vert, Véronèse (2)

DEUXIÈME PARTIE.

Forcing à la culture.

« Le pouvoir de… » formule magique, jusqu’où ça conduit l’homme… Véronèse était pas tant adjudant pète sec, dans le fond, que brave homme poussé par les nécessités. Le moyen de finir en beauté quand on gagne mille euros par mois ? Son coup de folie : criser pour Messaline ! Etait full avec le projet sanglant. A soixante ans, entre deux gendarmes, la perspective lui échappait dans le flou de l’amour !
Avant de sombrer aux sentiments, il était plutôt du genre douanier polonais du temps de Jaruzelski... I’ voulait pas d’emmerde, rien que du bakchich…
Véronèse marchait aux dollars. Il avait une religion pour le pourboire. Pas plus rapide que lui pour étouffer le dessous de table. Il grattait partout : trattoria, muséum, piste de kart, Hollande miniature, foire de Frankfort. Il avait tout fait, chaque guichet, commissaire aux relations, employés aux expositions, chaque coin de vestibule, cellier, cave, même sous les cages d’escalier, bureau d’hôtel, soutien-gorge des cachottières. Les dames pipi l’appelaient Vérole. Ce nom lui allait comme un gant. Vérole foutait jamais le camp sans ses lires, euros, dollars, 10 %, selon… Il vidait les assiettes des lavabos en sortant des waters... Son habitude, vingt ans d’expérience !
Les passagers, à force, commençaient à le connaître. Sur les sites, ils formaient une petite famille. Messaline boute-en-train, Véronèse à la culture… Six heures à pas pouvoir s’étendre dans la ferraille brinquebalante, on a le temps de s’attendrir.
D’abord on se méfie, naturel, surtout au départ à cause du fric qu’on a dissimulé dans ses chaussettes, valise, ceinture… Parfois, on s’interpelle. On se souvient plus. On s’angoisse terrible sur l’oseille. La mémoire qu’avait flanché revient. On a des sourires. Le billet de cent dollars pouvait pas se trouver dans le tube dentifrice, puisqu’on l’avait roulé façon cigarette dans la boîte des Tampax ! La fatigue venant, on dodeline. La tête donne contre la vitre.
C’est la petite brune pas mal qui part la première et qui ronfle un bon coup
Son mari gêné, la remue, la chatouille… puis de guère lasse, part à son tour se joindre à l’orphéon. Bientôt la tôle n’est plus qu’un long corridor dortoir. Véronèse qu’était sur des explications de fondation sur l’eau, système pilotis, qu’on appelle pali sur la piazzetta, s’embrouille dans le fourbi du détail. Il prend l’air comme un phoque après dix minutes d’apnée, puis s’écroule entre deux phrases. En ronflements, c’est le gros hélico.
Messaline qui recueillait l’argent des cocas qui rafraîchissent dans la glacière, se sent partir en arrière. Elle rejoint le groupe, la tête renversée. Sa maigreur des deux mois de jeûne pour grimper au rideau avec Vérole, bien en évidence. Abandon total, bouche ouverte, beaux plombages, rien à redire. Sauf une petite bave qui lui coule entre deux hoquets, elle reste propre. Elle qu’avait l’instinct pervers, c’est l’innocence même… C’est dire comme tout est relatif, de l’assassin à l’honnête homme… un fil.
Moumoute et Ansoise résistent, ils font des mots croisés. Ils sont sur la même grille depuis trente ans, avec des variantes selon les éditions, les saisons, le caprice…
Un cassis trop brutal, un tournant en épingle, on émerge du coma profond. C’est souvent pour voir défiler une usine à gaz. Deux minutes avant, c’était le champ de coquelicots, une échappée sur la mer… Après les confidences du couple infernal, les petits secrets des autres ont pas le relief, pourtant, on se raconte des choses qu’on croyait bien enfouies. Patricia veut pas d’enfant, des fois qu’il ressemblerait à son père. « C’est Jauly » n’a jamais été mariée, les hommes lui font peur ! Une des deux attendries du début parle de son métier de technicienne de surface. « Oui, hein quoi ! femme d’ouvrage, dit Ansoise qui lève la tête de ses graticulations.
« C’est Jauly » se gratte carrément entre les jambes. Elle se retrousse devant sa voisine qui sourit.
- Des fois, aurait pas des morpions dans les coussins ? C’est un si vieil autocar.
Quel âge il a ? Les spécialistes oscillent entre 10 et 15 ans. On s’intéresse aux points de rouille.
- I’ devrait plus que transporter les ouvriers de Beringen.
Pourquoi Beringen ? Personne en sait rien.
Véronèse espace ses ronflements. Il tressaute. Ouvre un œil, la gueule au meurtre. C’est dommage qu’a pas Claude sous la main, juste au réveil… i’ passerait pas le quart d’heure.
Mais le moment est pas là. Faut instruire et instruire encore les tripeurs, que c’est même écrit dans le contrat. Véronèse sait pas où on est. Il s’en fout. Douaumont l’inspire, 1914, la belle résistance aux Allemands !... le front de la Somme. Ça tiendra éveiller jusqu’à midi. On est pas précisément du côté des tranchées, mais pas loin de Monte Cassino.
Les incultes se révoltent. Les hommes surtout sont jaloux de la jactance de celui qui sait ce que les autres savent pas.
On passe sa vie à dénoncer la culture qu’est de la merde de bourgeois, dès qu’à un concours on demande qui avait plus qu’une oreille pour peindre les tournesols, dix couillons gueulent dans la salle : Van Gogh !
C’est tout le drame d’aujourd’hui en condensé, d’un côté les cloches qui revendiquent leur clochitude, qui s’en foutent de ne posséder que trois mots avec cent borborygmes autour et de l’autre, les pieds nickelés qu’en savent pas plus, mais qui en ont conscience. C’est surtout les dames plus intelligentes qui vont à la conscience, au contraire des hommes, sacrés sagouins prétentieux… Les dames veulent entendre Véronèse. Messaline aux applaus. C’est tout juste si elle interrompt pas l’artiste au général Mangin qu’arrive avec ses tanks, pour dire, « Ce mec si fort instruit, si tout… c’est mon amant !... On baise ensemble depuis six mois… Faut voir, en plus, comme il est souple à son âge… » Elle se retient. On peut vouloir estourbir un gêneur et s’en expliquer, mais pas s’échauffer les sangs devant tout le monde. Les pulsions du cul trouvent rarement d’exutoire en compagnie nombreuse. La jalousie des masses frustrées, comprendrait pas. Y a trop d’obturées deuxième rideau. Regardez Roch Voisine, le tort qui s’est fait quand on a appris son mariage…
- Peu d’attention, siou plaît…
Crac boum hue fait l’ampli…
La voix de Véronèse prend comme des graillons au fond d’une poêle qui recuirait pour la troisième fois... On part à l’étonnement. C’est plus le même homme. L’Haut-parleur humain chaliapinise… C’est une basse noble qui se cachait sous le baryton martin.
Le bidule s’arrête, c’est pas l’arrêt pipi. On est en plein bouchon, en février ! C’est pas la peine de se les geler pour pas plomber le moteur en août.
Aux nouvelles, c’est une vache égarée qui se promène sur l’autopista…
L’événement réveille l’instinct agricole qui sommeille dans chaque citadin. On parle fourrage et culture transgénique. Si José Bové était là, même « C’est Jauly » lui ferait des gâteries.
Le chef reprend courageusement la campagne de 17. Il ne sent plus son public. Même les femmes échappent…
Le car a un coup de blues. On se demande ce qu’on fait là. C’est alors que Véronèse pousse une cassette du Gendarme dans la télévision de bord. Il veut tuer tout le monde ! Puis on se rendort, carrément cette fois. De Funès et Galabru partent en lignes zigzagantes et en mélange des couleurs.
On se réveille au parking. Au bout d’un pont moitié levée de terre, moitié en béton, c’est la lagune. Pour le reste, un vendeur à la sauvette a toutes les documentations possibles dans toutes les langues.

C’est la première fois que je vous fourgue un de mes poèmes, profitez-en, ce sera la dernière.

Le monstrueux moka sans ses chevaux de bronze
A son rythme s’enlise au ras des flots malsains
Devant le Campanile est un membre italien
Qui débanda paraît-il en quatre-vingt onze

Le Grand Canal repeint à la couleur ambiante
Passe du vert au brun sur quoi l’écume rend
Les pigments digestifs d’apatrides fientes
De tous ces intestins qui vont déambulant

Dans les ruelles d’eau des barques se disloquent
République n’est plus ce qu’elle avait été
Les papiers gras flottants c’est bien là notre époque
Les rats dans tous les trous pètent d’obésité

Il faut bien qu’on aborde et c’est à la Salute
On y reste encaqués jusqu’au retour prochain
Dans l’Eglise sous les voûtes tombent des gouttes
Sur la nappe d’autel Dieu change l’eau en vin

Selon qui la regarde en ses eaux attardées
Venise a pour chacun différentes beautés
Quand on y est déçu c’est la pouf d’un clandé
Filant de son tapin au julot la comptée

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