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Une passion contrariée.

Ils sont curieux les militants des partis ! Si formidablement convaincus que leur leader suit une impeccable ligne de conduite, ils n’émettent jamais aucune critique, rien que des louanges. Ils sont curieux et touchants à la fois. Cette ferveur enthousiaste qui prend le militant aux tripes a quelque chose d’angélique, et aussi… de fondamentalement moutonnier et imbécile, quand elle ne masque pas un plan-carrière où, elle n’est qu’une forme d’hypocrisie.
Ce renoncement au doute supérieur qui plane sur toute spéculation, comme dirait Malebranche, est une sorte de capitulation de l’esprit, une vassalité insupportable pour qui est né libre, qui m’est odieuse au plus haut point, attendu que je n’ai jamais eu la bosse de l’admiration. Il y a une constante analogie entre les fanatismes de base qu’ils soient de Liège, de Bruxelles ou de Nürnberg. Le regard noyé d’amour tourné vers le chef devrait rappeler des choses…
Les leaders qui prennent la pose et attendent les bravos ont quelque chose de dépravé appris à l’école du plus bas marketing : celui de la personne humaine qui se vend. L’attitude d’un Daniel Ducarme à la tribune, les sourires d’un Di Ruppo, les gestes de chanoine d’un Louis Michel, me suggèrent une troupe de mauvais comédiens qui appuierait les effets, une sorte de Commedia dell arte de l’effronterie, du culot et de la mauvaise foi.
A l’urne, j’ai toujours été au feeling.
Une belle gueule de femme mûre qui me dit de voter pour elle, je fonds. Je ne vote pas « Rassemblement des pêcheurs de la Basse-Meuse », « Centre-droit paysan » ou « Gaule romaine », si je ne perçois personne sous le slogan racoleur…
Pour une femme ? Parce que j’ai toujours voté ainsi, question de rétablir un équilibre qui n’est pas encore acquis.
Certes, même si elle correspondait à mon type, je ne voterai jamais pour Marine Le Pen ou l’une ou l’autre ardente du renouveau d’une Europe nostalgique de la Wermacht. Il y a des limites à l’amour. Quoique certaines répliques méritent citation. Celle, par exemple d’Arletty, la comédienne, le jour où à la libération on lui reprocha sa liaison avec un major de l’armée allemande et qui eut cette réponse magnifique : « Mon cœur est français, mais mon cul est international ».
Mauvais exemple, certes, puisque aussi bien il s’agit de concilier élan du cœur et détermination politique.
Pour voter, vous l’avez deviné, je verse dans la connotation du physique attractif.
La dernière fois que cela m’est arrivé, je ne l’ai pas regretté, malgré sa défaite.
Avec ses lunettes à fine monture, son air sérieux, des vêtements simples de secrétaire, de l’aisance qui laisse deviner un corps souple, une femme mûre avec un air de jeunesse dans un visage lisse, oui, vous l’avez deviné, j’ai voté pour l’Ecolo Evelyne H. Enfin, j’ai voulu, on n’était pas du même arrondissement !
J’ai souffert avec elle de la tripotée qu’a reçue son parti, dont je n’ai pas la carte. Les deux vainqueurs : rose au poing et bas bleu réunis, à la curée sous des dehors patenôtres, souillaient mon idole de la féroce joie du prédateur heureux.
Bien dans son rôle de victime digne, je l’ai vue en pleurs.
Voilà encore une différence qui me la fit aimer davantage. Verhofstadt pleurent-il lorsqu’il perd une élection ?
J’avais des envies de superman : ah ! serrer Evelyne H. dans mes bras et l’emporter au sommet d’une tour de Sainte Gudule, loin des griffes de ces vampires de la gagne. Nous eussions, à l’abri des aigris de la défaite, assouvi une passion non écologique dont j’aurais poussé les feux pour qu’elle fût réciproque.
J’ai découpé image par image une séquence télévisée où Evelyne H. pilote habilement une trottinette à moteur, à la veille des élections, dans je ne sais quelle exposition des commisses agricoles.
Elle n’avait pas d’inquiétude dans le regard, comme pour une défaite annoncée. Elle était femme, tout simplement. Son désir de plaire n’avait rien à voir avec la compétition électorale. Elle jouait sur un autre registre. Les candidats mâles ignorent tous la manière de gagner les cœurs de cette manière. Leurs désirs vont à d’autres conquêtes. Ils n’ont d’ambitions que cérébrales. Ils se reproduisent sans choisir, comme des bactéries dans un pot de yaourt !
On aurait cru voir Madame Bovary à la rencontre de Rodolphe !
Sa différence me la fit aimer davantage.
J’ai rempli tout un album de son loyal sourire et orné la couverture de deux cœurs croisés et molletonnés prélevés d’un sous-vêtement Trois Suisse hors d’usage.
Oui, j’aime les défaites. Elles sont plus humaines et pleines d’enseignements. On devrait donner le pouvoir à celles et ceux qui n’en ont pas envie et à défaut, aux battus…
Qu’elle me pardonne ici.
On m’annonce qu’elle a réussi un bon rétablissement dans une équipe réaliste, ce qui me permettra de fantasmer à nouveau aux élections de 2007. Grâce au ciel, ce n’est pas fini entre nous ! Je le savais que cela ne pouvait se terminer sur un malentendu. Mais une jalousie rarement ressentie aussi violemment me tenaille. Les deux loustics qui l’accompagnent dans sa mission ne me disent rien qui vaille. Il faudra donc que j’accomplisse une victoire sur moi-même pour que je lui garde ma confiance. Sinon, les deux ajouts me rendront des comptes sur leur vote funeste contre la publicité du tabac à Francorchamps. Je n’ai pas besoin d’entendre les raisons d’Evelyne H. sur le sujet. Serrée dans son gilet de laine à deux sous, soulignant des formes qui, ma foi… je sais qu’elle a raison.
Je rassure toutes celles qui se présenteront la prochaine fois aux urnes sous quelque étiquette que ce soit. Si Evelyne H. d’ici là ne me donne aucune raison d’espérer, elles ont leur chance,
Après tout, à la lumière de l’entraînement irrésistible qui me pousse vers elle, je comprends mieux l’attitude énamourée du militant de base… Comme lui, je suis amoureux d’un poster. Ils suivent leur pulsion. Ils aiment d’amour. Moi aussi. Ce que je ne comprends pas, c’est comme on peut se passionner pour le physique de Louis ou d’Elio ? Mystère de la nature humaine ? Embrasement malencontreux des sens ? Peut-être ont-ils une beauté intérieure qui ne se dévoile qu’en petit comité, à la Cène, par exemple, boulevard de l’Empereur, quand Dieu lit les placets et distribue les places à ses apôtres ?
C’est égal, du scrutin de mai 2002, j’ai du mal à me remettre. Voilà bien une passion contrariée !

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