Nuit américaine sur Bagdad
Voilà que lon reparle de lIraq !
Les Américains qui sy sont promenés en mai pendant leur croisade, traînent les pieds devant leurs pertes quotidiennes.
Ils se souviennent quils y sont partis malgré lavis contraire de beaucoup de pays et notamment dEurope, quils voudraient bien remobiliser sous le drapeau des Nations Unies.
Sans mandat international nous étions contre lintervention en harmonie avec la France et lAllemagne. Rendons cette justice à notre ministre des Affaires étrangères, monsieur Louis Michel, il na pas flanché et son discours est resté le même.
Dans le camp américain, les dirigeants inconditionnels de lintervention, comme Tony Blair, se heurtent à leur opinion publique, divisée sur la question, ce qui suscite de vifs débats et un malaise croissant.
Cest peut être loccasion de revenir en arrière afin de comprendre létat desprit dune grande nation quun certain onze septembre a déstabilisée.
Depuis cette journée fatale, il était clair que G. Bush et son Administration étaient à la recherche dun bouc émissaire, de préférence Arabe, cest-à-dire fort éloigné dune minorité américaine capable dinfliger des coups bas à lAmérique avec ou sans liens dOussama Ben Laden. Laffaire de la propagation de lanthrax par courrier avait été très mal perçue dautant quelle avait été le fait dun Américain qui plus est de lestablishment.
Cest alors que la théorie des régimes démocratiques faisant la leçon à des pays sous la coupe de dictateurs fut énoncée par Condoleeza Rice et Donald Rumsfeld.
Il fallait à lAmérique un coupable désigné, ce fut lIraq. Ce choix nétait pas des plus judicieux. LArabie Saoudite est de loin dans cette partie du monde le pays qui correspond le mieux au profil dun Etat « voyou ». Il a financé et armé des mouvements islamistes un peu partout dans le monde, nombre de ses ressortissants ont participé à la plupart des attentats contre les Américains, tous les Imans formés par cet Etat sont aujourdhui suspectés de sympathie dun intégrisme dur.
La raison principale évoquée par le président Bush pour envahir lIraq nétait pas la dictature de Saddam, mais la détention par celui-ci darmes bactériologiques et nucléaires. On sait aujourdhui que le dictateur sétait beaucoup vanté sur sa capacité de nuire et que, jusquà présent, rien na été trouvé.
Cette attaque, alors que la paix revenait en Afghanistan a permis un regain dactivité des Talibans et ce pays est à nouveau déstabilisé par une guérilla de montagne.
Quant à lIraq « pacifié » des troubles intérieurs risquent de conduire à lanarchie et à linstauration dune république islamique, ce qui serait un comble des plus désastreux résultant de lintervention.
Mais voilà, lAmérique est un grand pays, une grande puissance qui na de leçon à recevoir de personne. Son président pour avoir une chance dêtre réélu lannée prochaine ne peut pas perdre la face et annoncer à la face du monde quil sest trompé.
Depuis la presse Murdock en passant par presque tous les quotidiens américains, un mot dordre court : ne pas déstabiliser lopinion américaine.
Aussi, les citoyens de ce pays restent dans lopinion du 11 septembre, à savoir que la lutte contre le terrorisme devait passer par lIraq pour en chasser Saddam.
Cest dautant paradoxal que Saddam ne voulait à aucun prix que le terrorise international sinstallât sur son territoire par crainte dune sédition interne. Ce despote absolu était bien trop jaloux de sa toute puissance pour autoriser une force militaire quil ne contrôlerait pas, même minime, à un tir de canon de Bagdad.
Les stratèges de la Maison Blanche ont-ils voulu envahir lIraq pour préparer linvasion de lArabie Saoudite ? Si cétait pour redessiner dans la région une carte propice à léclosion dEtats démocratiques, cest plutôt raté. Car, sans le secours de lONU, les voilà quasiment obligés de rester sur place pour un temps plus ou moins long. Qui dit occupation dit détestation des armées occupantes, donc détestation de certains aspects de la démocratie.
Lerreur de la politique américaine a été de faire cavalier seul, de bien préparer linvasion et de laisser le soin au hasard de faire le reste, cest-à-dire le plus important : la pacification.
Que feront demain les Nations Unies ? Vont-elles aider lAmérique à sortir du guêpier ? Pour la Belgique, Louis Michel la redit dans le courant de la semaine écoulée, nous ninterviendrions quau cas où ce serait les Nations Unies qui prendraient le relais de larmée américaine, ce qui signifierait que lIraq passerait sous un commandement international et non pas exclusivement américain.
Si une telle alternative arrivait, il conviendrait de revoir la théorie du droit dingérence pour raison humanitaire et pour raison de terrorisme, chère à Bernard Kouchner et André Glucksmann, les deux étant souvent liés. Cest par trop facile de déclencher un conflit, puis de laisser aux autres le soin de le finir.
Si les Etats-Unis devaient partir en guerre contre toutes les dictatures dans le monde et que nous serions pour différentes raisons obligés de courir derrière eux pour recoller les pots cassés, les hostilités et les drôles de paix se succéderaient pendant un bon bout de temps, sans nul garantie de progrès de la démocratie.
Comme il serait grand et digne dun Etat démocratique que le président Bush cite Tchekhov dans une de ses fréquentes causeries à la Nation américaine :
« Jusquà ce jour, jai trompé les gens et je me suis trompé moi-même, jen ai souffert et mes souffrances ne valaient pas cher. »
Le peuple américain que nous aimons pour mille raisons de culture et dhistoire se trouverait grandi et son Président avec lui, de cet aveu déchec.
Nous touchons là le cœur même de ce que pourrait être une démocratie, pleine de contradictions et de contestations, mais aussi lieu unique de liberté dexpressions et de choix.
Vraiment, le seul moyen de diffuser cet état desprit citoyen reste lexemple donné aux autres de sa propre conduite. Alors, oui, la statue de la Liberté éclairant New York, éclairerait aussi le monde.