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Circé et l’étrange Ulysse.

-Pourquoi m’aime-t-il, Aiétès ? Qu’ai-je d’intéressant, sinon, mes yeux ?
-Ce n’est pas mal, Circé.
-Si je tachais d’en savoir plus ?
- Avant, assure-toi qu’il n’est pas fou.
-A quoi le verrais-je ? M’aime-t-il réellement ? On le dit amoureux d’Hélène.
-C’est peut-être un jeu ?
-Quelle idée ! Avec mon agricole semeur d’ellébore…
- …ton dernier avatar.
-…il était menteur, roublard, nul. Je l’ai vu tout de suite, mais il m’amusait…
-Tu l’as renvoyé. Tu as bien fait.
-Au moins je ne pouvais pas m’attacher. Je n’en ai pas souffert.
-Tandis qu’avec Ulysse, tu crains le pire.
-Oui, il a l’air sincère.
- Ce sont les plus dangereux.
-…à s’en débarrasser... Puis, il a trop voyagé. Il est trop vieux, trop intelligent…
-On a toujours trop de quelque chose qui vous désavantage, mais l’intelligence ?
- Si je lui mens, il le saura tout de suite.
-Mais, s’il est si intelligent que tu le dis, tu ne sauras pas qu’il sait que tu mens….
-Il va me parler de choses que je ne comprendrai pas.
-Ce sera l’occasion de les apprendre.
-Je n’oserai jamais lui présenter mes amis ;
-Pour lors, tu as raison. Tu trimballes une belle collection d’imbéciles.
-Ma famille.
-Ta famille, comme les autres, critiquera l’intrus. Dans le fond, elle s’en fout.
-Mes enfants.
-Elles te demandent ton avis pour changer de bonhomme ?
-Et puis les intellectuels n’ont pas de tempérament, ils n’ont que du vice.
-Possible. Mais à certains moments, le vice supplée. Tu ne t’en es jamais plainte.
-Il est trop vieux.
-Tu n’es pas jeune non plus.
-Je ne fais pas mon âge.
-Lui pareil.
-Il y a quand même entre nous une grande différence.
-Ça ne se voit pas.
-S’il vient à être malade ? Je me vois mal en Pénélope.
-Par contre, si c’est toi qui prends un râteau, je suis sûre qu’il sera à ton chevet.
-Là, je veux. Mais, c’est l’inverse qui me préoccupe.
-Tu pourras toujours dire que tu n’as pas la force, le courage, que sais-je ?
-Avec la profession que j’ai !
-Et alors ? On a vu des médecins défaillir à la moindre piqûre qu’on leur fait.
- Enfin, je n’en ai pas envie.
-Ça, c’est un argument.
-A d’autres moments, il m’intrigue. Un homme qui a tant voyagé. Qui sait tant de choses !
-Entreprends un voyage avec lui, tu verras bien la suite.
-Je ne peux pas. Je suis avec Horace.
-Ce valet de ferme que tu as ramené chez toi aux fêtes ! Tu l’aimes ?
-Non. Mais, il est de mon village. Je sais d’où il vient, où il va, ce qu’il fait
-Mais, il ne va nulle part !
-C’est rassurant. Il a une santé de cheval. Il fait l’amour comme un tracteur. Tandis que l’autre : un artiste, un poète !
-Demande l’avis de tes enfants, puisque tu en es là !
-C’est ce que j’ai fait. J’ai fait venir la cadette exprès. Elle l’a vu.
-Résultat ?
-Négatif. Elle le trouve moche et emprunté.
-Ils se sont parlés ?
-Deux mots à peine.
- Et sur cinq secondes, elle a su qu’il ne te conviendrait pas ?
-C’est comme ça.

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-C’est bizarre la vie. D’un côté, c’est flatteur qu’un type vous aime. L’inconnu attire. Il intrigue. Puis, d’un autre, on se rassure en restant dans un paysage et avec des gens que l’on connaît. On aime à la fois courir « l’aventure » avec hôtel réservé en bout de piste et pension complète et en même temps savoir qu’on va rentrer et retrouver ses pantoufles. On est à la fois furieuse que le sablier continue sa course dans un quotidien d’une grande banalité et fort aise que le futur soit aussi connu que le quotidien. On voudrait seulement rêver les choses. Quant à les vivre, c’est une autre histoire. Ulysse t’écrit des pages enflammées et des poèmes. Tu les lis Tu en es émue et flattée, mais c’est un bouseux qui frappe à ta porte qui fait l’affaire. Il n’intrigue pas. Il est rassurant. Il lit la Meuse et va le dimanche au football. Tout ce que tu détestes, mais qui te donne le sentiment de dominer les choses, de maîtriser la situation. Tu as raison Circé, laisse tomber cet Ulysse. Mais si par hasard, tu as encore son numéro de téléphone…

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