LEurope des Douze !
-Tout va bien entre nous, Simone. Tu travailles, moi pas. Mais ce nest pas un problème. Tu rentres le soir, je ne te dis pas que jai faim et jattends patiemment que tu te sois déstressée de ton dur métier dhôtesse. Cependant, il y a une chose qui minquiète ?
-Quoi ? Cest rapport à hier quand jai mis ton pied droit dans ta pantoufle gauche ?
- Non. Ce nest pas ça.
-Je sais. Cest quand je suis revenue un peu saoule davoir bu avec des clients et que jai oublié de mettre le réveil sur 4 heures pour faire le ménage ?
-Non, non ! La fatigue, je comprends. Une nuit de poker, je suis lessivé le lendemain. Alors, toi, avec les clients, cest physique. Quoique lautre nuit, tu avais oublié de retirer ta membrane et là, jétais vraiment en rogne. Cétait dégueulasse.
- Ah ! je la sentais plus…
-Je tai un peu cognée. Tu lavais mérité.
-Oui. Tas eu tort. Les bleus, cest pas commercial !
-Je me demande, ce qui va se passer dans cinq ou dix ans, quand tu auras cinq ou dix ans de plus ?
-Mais, tu auras cinq ou dix ans de plus aussi, et je ne vois pas où est le problème ?
- Moi, ce nest pas la même chose. Comme je nai pas de métier, je me conserve. Mais toi, tu te donnes à fond…. Tu as trop de conscience professionnelle. Mais le résultat est là. Tu finiras par être plus abîmée que moi.
-Jai 25 ans de moins… et alors, ça compensera mon vieillissement prématuré. Jai 25 ans et tu en as 50. Cest plutôt le contraire qui risque de se produire. Quand tu auras 60 ans, je nen aurai encore que 35.
-Justement, tu veux que je te montre comment elles sont tes collègues à 35 ans ? Des épaves !
-Pas toutes. Josy est bien conservée à 42 ans. Il faut voir la belle clientèle quelle a… des curés, des hommes daffaire, des femmes politiques…
-Comment des femmes politiques ?
- Oui, tu sais bien quelle a failli aller à Lantin à cause de son député…
- Daccord. Tu prends Josy comme exemple. Pourquoi est-elle bien conservée ? Parce quelle a commencé tard. Toi, à 18 ans tu travaillais au port dAnvers… et pas pour moi !
-Tu vas encore me le reprocher ?
-Non. Mais chaque fois que tu avais quelquun de nouveau, tu tombais de plus en plus bas. Tu te rappelles le marin chinois ? Moi, je tai trouvé un local, chauffage central, sauna, confort…
-Cest vrai.
-Juste pour te dire que Josy en plus davoir commencé tard, sest tout de suite spécialisée.
-Tu sais combien ça coûte le cuir ?
-Tu nas pas besoin de te mettre du cuir griffé Saint-Laurent sur le dos !
-Tu me prends tous mes sous !
-Emprunte, nom de dieu, ménage-toi. Demande à Josy !
-Et quest-ce qui arrivera si je ne me spécialise pas, quand jaurai 35 ans ?
-Notre amour pourrait sombrer, toi trop moche et moi portant mes regards ailleurs… Cest ça que tu veux ? Je ne pourrais pas supporter de te voir toute ridée, surtout du bassin. Je pourrais menticher dune de tes collègues. Lautre jour, tu bullais devant « Chez François » à côté de toi, il y avait une Albanaise magnifique. Cest bon que je sois barge de toi, mais dans dix ans !
-LAlbanaise en aurait 28 et toi, toujours 60, dans dix ans !
-Tu ménerves, à toujours ramener vos âges au mien. Comme si cétait comparable… Tas vu Hallyday ?
-Tu es bien conservé, je reconnais.
-On ne peut mieux.
- Tu me diras, cest le hasard, mais lAlbanaise ma présentée à son mari…
-Albanais ?
-Non, Marocain, ben Yaya.
-De la bande à Sheriff ben Yaya ? Attention… ils rigolent pas !
-Je lui ai parlé de toi ! Sheriff trouve que cest pas juste que tu ne fasses rien. Il a demandé à son pote de te prendre aux taxis, à partir de demain tu fais la nuit.
-Comment ça je fais la nuit ?
-Oui, tas entendu. LAlbanaise veut bien quon sassocie et on va se marier tous les trois, Sheriff, elle et moi.
-Jai jamais rien entendu daussi con !
-Toi dorénavant tu bosses aux taxis et tu fermes ta gueule.
-Et si je te corrigeais une bonne fois ?
-Tu peux. Tauras Sheriff à laddition. Si tas compris la manoeuvre, après ta nuit aux taxis, tu fais la tambouille en rentrant. Sil en reste après le déjeuner, cest pour toi.
-Mais Simone, ils sont pas de chez nous, ces gens-là !
- Cest lEurope de demain, Antonio.
-Je le savais, que ça pouvait plus durer, lEurope des Douze !…