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Un débat au C.P.C.R.

Samedi dernier, un petit groupe de discussion débattait d’un sujet qui ne semble pas passionner les foules, mais qui, pourtant, pèse lourd dans l’actualité :
« Puis-je agir sur la société ?».
La question est de savoir si notre « qualité » de citoyen signifie encore quelque chose. La difficulté de ce genre de discussion, c’est de ne pas s’écarter du sujet, ce qui est souvent le péché mignon de tout discours philosophique.
Dans une tentative de réponse cohérente, il me sembla utile de définir ce qu’est la société en 2005. En effet, on ne peut envisager d’agir sur une chose qui reste indéfinie.
Comme le régime se dénomme lui-même « démocratie libérale » et qu’il est plus souvent question de « démocratie » que de « libéralisme », ce dernier terme paraissant volontairement moins en évidence que le premier pour des raisons stratégiques, je fis donc le parallèle entre la démocratie grecque à son apogée (au siècle de Périclès) et la nôtre qui s’en réfère sans arrêt.
Pour une Cité de 450.000 âmes (Athènes et sa campagne), le décompte est vite fait. Si l’on considère 400.000 esclaves, plus les femmes et les enfants des citoyens, à qui s’ajoutent les métèques (étrangers) privés du droit de vote, ainsi que les citoyens (hommes adultes) abîmés par l’âge et hors capacité de débattre et de voter, on en arrive à environ 1 % et demi de la population pesant sur la conduite des affaires. Peut-on appeler ce régime une démocratie dans le sens où nous employons ce terme de nos jours ?
La réponse est : « non », de toute évidence. Avons-nous fait mieux ?
En 2005, la participation des gens à la vie collective par le suffrage universel à toute l’apparence d’une amélioration du système grec. Mais, ce n’est qu’une apparence.

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A cela quatre raisons :
1. Le citoyen délègue ses pouvoirs, sans aucun moyen de communiquer son avis que par les urnes, une fois tous les quatre ans, donc sans pouvoir proposer des alternatives aux actes ponctuels posés sur des sujets déterminés ;
2. Les majorités sont toujours composées de plusieurs partis, d’où des programmes de compromis fort éloignés des programmes électoraux. La frustration de l’électeur est quasiment permanente ;
3. Aux Assemblées législatives se superposent le Parlement européen et ses directives à l’adresse de tous les Etats membres, ce qui dilue encore plus le pouvoir du citoyen entre la forme locale et la forme extraterritoriale du pouvoir ;
4. Enfin, le pouvoir économique s’est détaché progressivement du pouvoir politique, jusqu’à en être distinct. Il est devenu prépondérant. L’action du politique s’en trouve amoindrie et subalterne. Les compétences économiques se déplacent et se concentrent en des points lointains de la planète, hors du contrôle des Etats européens.
Je croyais avoir exposé clairement ce que je pensais de la démocratie belge à la sauce moderne : une fiction aussi vide du pouvoir réel des gens que l’ébauche grecque qui, elle, avait le mérite d’innover et de chercher des voies.
Personne n’a voulu ou n’a pu définir ce qu’était une « démocratie libérale » en 2005. Il s’est trouvé l’un ou l’autre participant trop préoccupé de ce qu’il allait dire, pour y réfléchir vraiment. Certains y ont vu de ma part une prétention au bel esprit. Comme si faire une référence à la Grèce en matière de démocratie était une manière de chloroformer le débat.
Puisqu’on n’avait pas réussi à définir la société autrement, il convenait de connaître quelles perspectives nous attendaient et nos chances de peser sur les décisions..
Or, s’il est bien une réalité déjà perceptible, c’est la fin prochaine du combustible minéral. L’or noir ne sera plus dans une évaluation qui varie entre 2040 et le XXIIme siècle qu’une fiction ou une rareté pour le seul confort d’une minorité. Entre-temps, il y aura un pic de production satisfaisant tous les besoins et au-delà duquel, la demande ne pourra plus être satisfaite à 100 %, ce qui créera des tensions de crise. On situe ce pic entre 2007 et 2010.
On peut contester ces chiffres, mais envisagés avec pessimisme ou optimisme, ils tomberont un jour comme un couperet et modifieront sensiblement le concept libéral de croissance indéfinie.
Déjà démuni et sans pouvoir, comment le citoyen pourra-t-il agir sur la société afin d’avoir son mot à dire dans l’importante mutation qui se dessine ?
Vous le croirez si vous voulez, personne dans le groupe n’a envisagé cette hypothèse, sinon pour la contester.
C’est donc bien gauche droite confondues que les citoyens ont une vision étroitement libérale de la croissance. Ils la croient continue indéfiniment !...
J’ai réalisé comme il est illusoire de penser que les foules « sentent » l’histoire. De l’assassinat de Sarajevo, au retour de Munich en 1938 d’un Daladier triomphant, l’opinion n’a guère été prémonitoire. Malgré ses millions de chômeurs et ses certitudes de pénurie dans un proche avenir, personne n’imagine que la démocratie libérale est à son déclin.
L’individualisme actuel engendre un égoïsme qui anesthésie le sens critique. Les constats du chômage, de la pauvreté, de l’injustice, inspirent une fatalité résignée. Cela sauve la société libérale d’un jugement sévère.
Implicitement, nous pensions que nous ne pouvions agir sur la société, sauf à un échelon minuscule et non significatif, sans l’oser pouvoir dire.
Ne serait-ce que parce qu’il a permis de réfléchir sur l’irresponsabilité des foules et leur incapacité d’agir par elles-mêmes, le débat fut très intéressant.

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