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Un pauvre con !

- T’y penses encore ?
- Ah ! je voudrais bien n’y plus penser. Mais, je ne peux pas. Elle me hante…
-On est en mars, depuis janvier… quand même ! Est-ce raisonnable ?
-Non, ce n’est pas raisonnable. T’as déjà vu un amoureux raisonnable ?
-Pourtant, elle ne t’a jamais laissé entendre…
-Non. Seule une attirance que je croyais réciproque, une sorte d’état de grâce quand nous étions un petit quart d’heure ensemble… était visible, même par ses collègues…
- Peut-être n’as-tu pas été assez insistant ?
-Demander deux fois n’est pas mon fort.
-Tu ne lui convenais pas dans les circonstances que tu m’as dites ?
-J’ai toujours été trop quelque chose : trop petit, trop gros, trop vieux, trop caustique, trop insolite…
-Trop intelligent ?
- Ce n’est pas à moi de le dire. Mais, je la voyais mal à l’aise quand des collègues l’interpellaient au milieu de notre conversation. Elle avait honte des autres…
-Et peut-être d’elle ?
-Non. C’est une femme intuitive, certainement de goût, pianiste, elle m’a parlé de son Steiner. Si nous nous étions revus, elle s’y serait remise… tout ce talent en friche, sans doute négligé à cause de la connerie d’une situation, d’un statut, d’un travail…
-Elle t’en a touché un mot ?
-Rapidement, comme ça. Tu comprends, elle me livrait au hasard des conversations, des petites choses… comme ça venait. Je n’insistais pas. Ses collègues devaient la connaître un million de fois mieux que moi. Par exemple, je n’ai jamais su son nom de famille… question de discrétion. Pourtant, j’aurais pu, encore maintenant, c’était facile. Eh bien ! je ne l’ai pas fait.
-Qu’est-ce qui a déterminé que vous en êtes restés là ?
-Va savoir ? La famille a joué un rôle. Le « quand dira-t-on ? » Qu’est-ce qu’un énergumène de mon espèce ferait à la campagne ?

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- Tu aurais pu t’intéresser.. genre sous-préfet aux champs, en chemise le dos contre une meule de foin.
-Je n’ai rien contre la betterave à l’infini, mais je ne me sens à l’aise que dans les grandes villes et, déjà, Liège est si minuscule... Je ne me vois pas attendant derrière deux bavardes qui enregistrent leur Loto, qu’un libraire veuille bien me prendre l’euro vingt cents du « Monde ». Je me sens incapable de faire la conversation, le gâteau sur l’assiette à deux doigts du nez, à des roucoulantes qui s’estiment frustrées d’avoir si peu trompé leurs maris quand elles le pouvaient encore.
-T’es en train de me dire que c’est tant mieux qu’elle soit sortie de ta vie ?
-Surtout qu’elle n’y est jamais entrée ! Peut-être bien qu’il y a quelque chose de vrai dans ce que tu dis. Elle savait intuitivement qu’avec moi, cela n’aurait pas été…
-Le voyageur aux semelles de vent ?
-Plus grand-chose m’intéresse… Je relis Gibbon, le déclin de Rome !... C’est dire. Je rêve plus que je ne pratique.
-Tu es bien amer !
-C’est trois mois après janvier que je pense à ça. Il me faut bien de minables raisons pour m’encourager à l’oubli…
-Alors, pourquoi tu m’en parles ?
-C’est toi qui m’as demandé si j’y pensais encore !
-Tu as raison.
-On ne se défait pas facilement d’un sentiment non abouti… Peut-être vaut-il mieux ainsi. J’aurais été embarrassé ? Quand j’aime, je suis gauche… Elle aurait été déçue. Je le sais. C’est toujours ainsi quand j’éprouve quelque chose de profond.
-Tu es trop compliqué. Les femmes aiment les situations moins ambiguës, plus simples… Que comptes-tu faire à l’avenir ?
-Rien. Je pars à l’île Maurice avec « piti Marie » une créole de mes amies…
Zoli ti fam kuma twa
Kuma lakoler pran mwa
Mo ris li mo amen dan lakur

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-Pauvre con !...

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