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Avec ou sans travail : l’ennui !

Les ravages du temps… Ah ! on n’aime pas voir les autres vieillir, surtout celles et ceux avec qui nous entretenons un commerce amoureux, étant entendu que nous, puisque nous ne nous voyons qu’en reflet dans une glace, l’image qu’elle nous renvoie ne peut être la nôtre… en tout cas pas sous la forme qui nous apparaît d’une indécente vieillesse. Ces traits empâtés, cette bouche qui tombe, ce menton qui s’affaisse, ces yeux tristes, ce sourire enfin du bon toutou et surtout l’ensemble que souligne un visage marqué ne peuvent être les nôtres, alors que nous sommes à une époque de jeunisme forcené, que les magazines regorgent de femmes éclatantes de beauté, de sveltesse, de fraîcheur…
On se prend à compter, faussement surpris qu’en 2005 on a évidemment un an de plus que l’année dernière, et deux que l’année avant l’année dernière, et ainsi de suite, on remonte le temps, jusqu’à s’arrêter à une période, pas très lointaine, riche en événements, en succès, en conquêtes… Epoque à laquelle on s’est déterminé pour un mariage, pour un divorce, pour se fixer sur soi-même plus que se faire une opinion sur les autres, les autres qui, tôt ou tard, proches ou lointains, nous les verrons différemment, d’abord vieillir, se désunir, s’effilocher, se dissoudre dans les redites et les querelles sans raison, avant qu’on ne s’en sépare ou qu’ils se séparent de nous (les séparations de commun accord étant aléatoires, sinon essentiellement pratiques du point de vue juridique).
Le plus idiot (c’est le mot exact) c’est qu’on a cru se réaliser dans une carrière. Faire carrière, avoir une profession intéressante, voilà ce qu’on a cru longtemps comme l’essentiel à la vie. Et que ceux qui ont subi l’ignominie des tâches répétitives à cause de l’obligation de manger à leur faim me pardonnent, lorsqu’on a « réussi », à part la vanité satisfaite, on s’aperçoit qu’on n’est nulle part, qu’on ne sait rien, ou pas grand-chose, malgré les grands airs, la « consécration » dans notre spécialité.
Le travail a seulement comblé un vide qui était déjà présent lors de nos études. Il nous a donné l’illusion d’une utilité indispensable à l’épanouissement de l’humanité, un pas décisif pour notre bonheur !... Conforté par la morale en cours, on s’est accroché à cela comme si, y déroger, était profondément indécent et néfaste.

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Le travail enfin nous a permis de tirer de l’effort qu’il nécessite quelque avantage moral. Il nous a distrait de notre propre vie. Ainsi nous n’avons plus eu sur nous mêmes cette vue qu’effrayait notre enfance lorsque nous nous penchions sur le puits de notre imaginaire dont nous ne voyions pas le fond. Il a meublé notre solitude de l’obligation qu’on en a de le répéter tous les jours, comme des automates, souvent, comme des imbéciles la plupart du temps…
Nous nous y sommes crus indépendants !
Et encore bien après, nous ne pouvons l’évoquer sans nostalgie. Nous nous rappelons comme venant d’hier les anecdotes cent fois rabâchées à nos proches qui lèvent les yeux au ciel, résignés du verbiage tellement connu....
Nous ne nous sommes jamais posé la question du pourquoi nous aimons tant les vacances ! Voilà qu’au bout d’onze mois, après avoir « aimé » l’entreprise, au point d’avoir cru que nous étions inséparables, nous nous précipitons vers des ailleurs en poussant des cris de joie ! Nous concevons ces jours de vacances comme des jours de vraie liberté, sous-entendant ainsi que le travail nous en donnait une « fausse », des jours où enfin, nous pouvons être nous-mêmes, alors que tout le restant de l’année nous ressentons souvent l’impression du contraire, sans oser pouvoir nous l’avouer ! Et c’est à l’heure du retour seulement, que nous avons des remords et qu’enfin nous redevenons le dévôt du dieu qui nous occupe.
C’est qu’à l’exception de ceux qui s’étourdissent dans des découvertes sans fin, des bars ou des dancings, les vacances ne suggèrent pas que des moments paisibles et chauds de tranquille retour sur soi-même, lorsqu’elles durent trop longtemps et au même endroit, les vacances épouvantent la plupart des vacanciers… Des lectures qu’on a abandonnées et qu’on n’avait nulle envie de reprendre s’il ne s’agissait de tuer le temps, une réflexion qui vient sans qu’on l’ait vraiment souhaitée, finissent par nous submerger et nous rappeler fort à propos que nous n’avons pas été « programmés » pour l’existence oisive ! L’oisiveté sans ennui est la marque des esprits supérieurs et des débauchés, ce que nous ne sommes pas de toute évidence.
Se regarder vieillir dans un lac que la mer laisse parfois en se retirant entre deux dunes de sable est un exercice encore plus insoutenable que celui de se regarder dans le miroir de son vestibule.
L’impossibilité de revenir en arrière nous saisit et ce n’est pas parce que l’on risque de se faire vider de son boulot à quarante ans, que l’on retrouvera l’allant du jeune homme qui cherchait du travail à vingt.
Alors, on se dit que la vie est une connerie, parce que nous sommes des cons.

Commentaires

Blog d’une rare qualité : bravo !

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