Scène de ménage
-Nom de dieu, Phyllis, pourquoi m’as-tu fait tes yeux de merlan frit, le soir o� on s’est croisé au bowling ? Je te demandais rien. J’étais paisible avec une meuf pas terrible mais qu’avait du c�ur et puis une s�ur, Gélinette, mieux foutue que toi� J’en avais deux au lieu d’une. On vivait heureux à trois� Il a fallu que tu rappliques. Pourquoi t’en es-tu prise à moi ?� Avec tes gros besoins, fatal la baisse de régime, si tu vois ce que je veux dire ? Les feux d’artifice, les plus beaux, ça dure une heure !... Et la tendresse, bordel ? Tu sais pas ce que c’est, toi l’égo�ste abyssale, la tendresse� Qu’est-ce qui t’a pris Phyllis� Qu’est-ce qui t’a pris ?
-Ah ! tu déçois� Rodolphe. Tu déçois. T’es quand même plus un enfant. T’avais qu’à dire non, si c’est ça qui te travaille ! J’ai violé personne, dearling. Qui c’est qui m’a plaquée contre une armoire au vestiaire de Spa aviation, et puis après, au spectacle des Francofolies, hein ?... pour y aller voir le barbu ?
-Personne aurait pu te résister. J’avais pas besoin d’y faire� T’en connais qu’aurait dit non ? Mon cousin Six-Coups, qu’est plutôt connaisseur, m’a dit en te voyant � Rodolphe, t’es pas sorti de l’aubergine � allusion à la couleur de ton maillot le jour de � Miss vulgaire � o� t’as fait première toute catégorie.�
-On voit bien que ton deux temps supportait plus le mélange. T’étais en manque, Rodolphe. Faut dire que t’avais quelque chose� ton côté diseur, mieux, champion de la gueule. J’ai jamais entendu baratiner mieux que toi. Tu me refais le coup, je crois que je tombe fleur à nouveau, pourtant bien certaine, que sous la chemise, les dossiers sont vides� T’aurais dit la moitié à Demi Moore enceinte de leur premier, elle plaquait Bruce Willis. T’étais tellement fort que je me voyais au parcours de l’Agha Khan, mégoter ses parts� Je voulais pas que tu brises la tro�ka. Je me disais, un extra ne fait tort à personne. J’en connais qu’ont 20 ans de ménage et qui se sont tapé des mecs comme on fume un paquet par jour� Mon mari aux distributions de tracts cocos et moi au matelas de l’hôtel Beau-Séjour, chacun son genre. Avant toi, j’en ai quand même eu 17. Je te l’ai dit. T’as trouvé ça normal� C’est toi qu’as insisté pour que je jette le stalinien à la rue, que t’avais mieux rayon connerie... Alors, je me suis dit ce type, y en a qu’un, faut pas que je le laisse s’éparpiller entre ses deux rombières� J’avais le sac prêt au départ des îles� pour tes songeries du bout du monde, je me serais jetée dans le premier train� Tu parles ce qu’on s’est marré !...

-Vas-y, à moi les torts. Je prends. Je me résigne au sacrifice. Au Golgotha, Rodolphe se ramasse pour la xième fois� Faut être deux pour le rêve. A force d’être avec une perdrix, je cacabe�
-Tu quoi ?
-Je cacabe� Tu sais rien et tu sauras jamais rien. C’est ça qui accable. Comment tu veux voyager si t’as pas les semelles de vent ?
-Tu m’étourdis de mots que je comprends pas� Mais mon pauvre Rodolphe, on n’a jamais mis les pieds nulle part. Tes îles grecques, Paphos, Ellébore, dans mon atlas de sixième que tu les as trouvées� Nulle part ailleurs. On n’a jamais quitté Sainte-Marguerite, pauvre cloche� l’artiste l’avait au cul, le vent, pas à ses semelles� c’est moi qu’aurais à dire en quittant mon pauvre mari colleur de timbre qu’avait la langue tellement douloureuse après son dur labeur qu’il confondait mon clito avec une boîte de Corned-beef� et qui pourtant savait y faire lui, l’accidenté du travail, mieux que le remonteur imaginaire des fleuves en filet d’eau de pissotière.
-Si on n’est pas parti, c’est pas ma faute� c’est ton idée de faire du Gauguin à la brosse à tapisser qu’on vendrait 20 euros le chef d’�uvre. T’avais calculé que sur une heure, t’en ferais six et qu’ainsi tous les dimanches matins sur les quais, on se ferait dans les 500� Mon cul, oui, le transsibérien qui devait nous débarquer à Novossibirsk voir un cousin � paraît-il - dans le pétrole et qu’on pouvait toucher, grâce à lui, Samarkand à dos de chameau� rien qu’en matériel, chevalet, brosses et couleurs, on a claqué les allés simples � Non seulement on n’est pas parti, mais en plus, on a été de la revue sur la Batte. T’as vendu qu’un chef-d’�uvre sur quinze jours, et encore, tu l’as lâché 10 euros, ce qui, nous laissait 2 euros 45 de bénef� Je vais te dire, t’as aucun talent, ma poule� tu sauras jamais ce que c’est être artiste�
-T’es artiste toi, poète trouduc ? T’as jamais été fichu de compter les pieds de tes saloperies que tu voulais éditer à l’�le des poètes� puis au Grenier de Pouchkine, pas à Piter� Perspective Nevski� non, plutôt côté Ombret, club des ménopausées à la souffrance lyrique� et c’est une merde pareille qu’ose me dire que je sais pas peindre ! Qui courait tous les jours chez Schleiper, rue du Rèwe, pour se faire reluire la rue à côté, c’est moi peut-être ?
-Là tu vas trop loin, Phyllis� C’est toi qu’as fugué avec Pachy� Alors l’autre !� c’est rare un veau pareil� Il avait plus qu’une chance, Pachy, c’est se coltiner le matos et finir l’artiste à la colle à tapisser. C’était lui l’acheteur de la Batte !� tu faisais une passe à 10 euros� au rabais� sous mon nez !... Bientôt faudra que tu paies pour décider le consommateur.
-Si quelqu’un exagère, c’est toi, salopard ! Ce qui te travaille, enfoiré, c’est que Pachy a le tour de main et du stock, toi, t’as plus que les subjonctifs� � J’ai défendu que tu fisses cette chose �, que tu m’as dit, quand t’as su qu’on allait à la mer avec Pachy, le week-end prochain. J’ai cru que tu voulais plus manger de poisson� mais non, o� j’avais la tête, Monsieur était dans l’imparfait du subjonctif�