Big Fact.
A la réflexion, cest lenfance qui a décidé pour nous du reste de notre vie.
Que je sois avec une femme que jaime et qui ne maime pas, outre ce fait, je dois à lenfance cette infortune. Je me suis trop habitué à vaincre à la tête de mes soldats de plomb, pour que léchec de ladulte me soit une douce résignation pour on ne sait quelle revanche. Je nai ni appris la résignation, ni la revanche. Je suis un général vaincu qui nattend plus rien.
La loyauté mordonne même daccepter la défaite dans lhonneur.
Jai donné ma parole.
Je ne lai pas donnée à cette femme aujourdhui, mais jadis, il y a très longtemps, à la tête de mes troupes défaites.
Tout est perdu fors lhonneur.
Ce nest même pas lexacte vérité.
Il ny a pas de vérité. Il ny a pas dhonneur. Il ny a quun général vaincu de toujours.
Cette longue enfance nous joue des tours. Heureux ceux qui nont pas de mémoire. Sans cette enfance, il me semble que jaurais été autre. Peut-on débuter dans la vie à lâge dhomme ?
Oui. Cela se peut : ceux qui nont pas de mémoire et ne se souviennent que dhier. Si la femme que jaime est ainsi faite, elle se souviendra encore de moi demain, mais pas après-demain ?
Un jour, cest à la fois peu et beaucoup. Ce jour-là, tout ce qui, insectes et plantes, ne vit quun jour, laura vécu dans la durée de sa pleine existence. Peut-être le papillon vit-il aussi longtemps que moi, dans sa tête de papillon ?
De mon enfance, je me souviens de tout.
Daucuns voudraient être à ma place. Sils le pouvaient, ils cultiveraient les souvenirs comme leurs géraniums. Ils ne savent pas à quoi ils échappent ! Ils échappent à ce vertige onomastique qui me saisit à la vision dune immense galerie de portraits dont nul nest exempté de porter sur une petite plaque de cuivre vissée à la moulure du bas, le nom du modèle, quand a été fait son portrait et par qui. Rien de plus normal quand il sagit dun musée, mais dune mémoire ?
Déjà tant de morts y figurent ! Ces morts qui sapprochent et qui se figent au plus près du mot fin. Ces morts qui mattendent…
Un sentiment que jai toujours eu, menvahit, le sentiment quaujourdhui il va se passer quelque chose. Ce sentiment mest quotidien, seule lheure à laquelle il survient varie. Il était présent ce jour à 14 heures.
Mon désir onobèle touchait à ses cuisses sous la table, je défiais Dieu et les enfers. Jabattais dun coup de rame arrachée au tolet, Caron qui se noyait dans les eaux noires du Styx, tandis que dune phrase hésitante, jentendais ma propre voix douce et monotone dire les bienséances et les plaisirs polis dun tête à tête dune grande banalité.
En somme, je vis depuis lenfance sous un déguisement.
Je voudrais arracher cette altérité insupportable, tandis que je nignore pas que sans ce masque personne ne me reconnaîtrait.
Régulièrement, il me vient à lesprit de me traiter de lâche.
Les gestes quon ne fait pas sont les plus anciens que lon conserve, comme les femmes que lon a désirées et que lon na pas eues sont peut-être celles qui ont compté le plus.
Cette réflexion dernière mapparaît en lécrivant dune belle absurdité. Me souvenant de tout, je puis dire que les plus doux moments sont au contraire ceux qui font toucher le bonheur des doigts, de peau à peau, comme les soupirs de lèvres à lèvres…
Les grandes envolées, les tautologies énamourées, les trémolos sarrêtant aux distiques, respectant lhémistiche, ne vaudront jamais deux êtres qui senlacent et qui joignent leurs corps, quils scellent dans un baiser.
Si jai toujours su cela depuis lenfance, cest quil existait une faille dans ce quil convenait de faire croire à lenfant que tout est définitif et que tout est joué par avance.
Rien nest moins sûr.
Lanomie peut de son anarchiste liberté rompre toute certitude.
Ce qui a été, peut demain ne pas être ; comme ce qui nest pas, peut apparaître.
Il suffit de fermer les yeux et davoir hâte de les ouvrir sur elle, pour que dans lintervalle, dans ce milliardième de seconde entre le rêve et la réalité, ce temps infini au cours duquel on revoit le film de sa vie, il ne se passe rien que lenvie de vivre et lenvie de sourire.
Commentaires
Quels sont donc les freins qui nous empêchent de nous arracher de cette altérité qui nous est pourtant insupportable????
Postée par S | 21 septembre 2005 - 00:32