Il était une fois…
- De quel langage logorrhéique discours-tu, Anicet, mon jardinier ?
-Je me disais, Uranie…
-Qui est Uranie ?
-Une princesse imaginaire dune histoire que je me raconte, avec un jardinier comme moi… Ce jardinier se disait : Uranie est bien seule depuis que le prince, son époux, festoie, puis guerroie sur son grand destrier blanc, à tel point quil se demanda si cela ne merdoyait pas aussi dans leur couple.
-Te voilà bien impertinent, Anicet ! Ignores-tu que la fonction de jardinier consiste à tailler seulement mon rosier ?
-Oh ! reine Bélise, je le sais. Je le taille. Je répondais simplement à votre question.
-Admettons. Ainsi, cette Uranie est malheureuse dans le conte que tu me fais ?
-Ce jardinier la voyait si souvent seule qui se promenait au jardin…
-…des Hespérides bien entendu !
-Bien entendu. Aussi, sintéressa-t-il à cette solitude. Peu à peu, cet intérêt se transforma en amour… Mais, comme dans mon rêve sa condition était la même que celle que jexerce dans ce palais, je me suis reproché ses désirs comme si cétaient les miens. Un jardinier ne peut aimer une princesse.
-Cest pourtant ce que tu lui fais faire !
-Cest un conte. Est-ce interdit ?
-Non. Sauf si je lentends et quil moffense.
-Un jour, Uranie tomba malade. On la cru même perdue. Il fut le seul à vouloir contre tout avis quil nen fut pas ainsi.
-Toujours dans ton imagination… car je fus très malade aussi.
-Evidemment. Il ne se passait pas un jour quil ne se renseignât sur létat de sa santé. En sa qualité de jardinier, il avait pour mission dorner les vases du palais des plus belles fleurs. Dès que la princesse quittait une pièce, sans quelle sen aperçût, il renouvelait les fleurs en fonction des saisons. Cétait en janvier que la maladie surprit la princesse. Lamaryllis luttait de fraîcheur avec le clivia aux fleurs orange. En février, ce furent les orchidées quil remplaçait par de la Saint-Paulia et ainsi de suite… De sorte que ne pouvant se rendre au jardin, ce fut le jardin qui vint à elle. Cela eut-il une influence ? On ne sait. Lamour accomplit parfois détranges exploits.
-Toujours est-il quUranie, car il sagit toujours de cette princesse imaginaire, nest-ce pas ? guérit et que dans ton rêve, dimpudent jardinier, tu en attribuas le mérite à ton confrère ?
-…Le prince qui sétait détaché de la princesse, parce que létat de celle-ci lui faisait songer que cela pouvait devenir le sien, passa par hasard au chevet de la mourante. Quel ne fut pas son étonnement de voir Uranie dressée sur sa couche, plus belle et souriante que jamais !
-Pousserais-tu limpudence jusquà me soutenir quaprès les effusions que se doivent les époux, ce prince, à nouveau, festoiera et guerroiera ?
-Cest exactement cela, reine Bélise. Votre majesté connaît la suite.
-Comment veux-tu que je la connaisse !
-Ne me voit-elle pas tous les jours en ce jardin ? Ne men vais-je pas parler aux fleurs ?
-Je te vois surtout, déboucher une tourie et en boire le contenu.
-Cette fiole, la voici derrière ces iris bien cachée à votre vue.
-Mais elle est vide, maraud, aurais-tu déjà tout bu dès le matin ?
-Cest quelle na jamais contenu la moindre goutte de vin.
-Alors pourquoi la déboucher et la porter à tes lèvres, comme parfois je te vois faire ?
-Un génie y est enfermé comme celui dAladin. Cest un roi… égal à votre époux.
- Un roi, quelle est cette nouvelle bizarrerie ?
-Il se nomme Richard. Il détient le secret de la princesse Uranie. Je le sais parce que cest moi qui lai décidé ainsi dans lhistoire. Lautorité de Richard le dispense de flatterie et de bassesse. Il tutoie le genre humain et se veut légal de tous : un homme parmi les hommes et que vaut nimporte qui.
-Cela devient moins drôle. Ce roi serait un génie égalitaire !
-Non, sa présence, souvenez-vous est seulement liée au secret du jardinier de la princesse.
-Ah ! oui, le secret !
-Lorsque Uranie fut guérie, le jardinier reçut lordre du prince de ne plus salir les parquets de ses sabots crottés. En attendant la belle saison et quUranie descendît au jardin, il retourna à ses parterres de fleurs. Par jeu et parce quil était seul, parfois il ouvrait la fiole afin de parler au roi dépositaire de ses secrets. Comme vous me le voyez faire…
-Ouvre là, pour quenfin tu te rendes à lévidence quil ny a rien dans cette tourie.
-Je ne puis devant vous. Ce que cette fiole contient, personne nen est le maître.
-Je le ferai donc moi-même !...
Ce que la reine fit.
Lhistoire ne dit pas ce quil en advint. Les secrets dEtat cachent le plus souvent au public ce que tout le monde sait, sans loser pouvoir dire.
Commentaires
Le jardinier rêve dUranie mais le conteur aurait aussi pu aimer Calliope, hasard ou destin?
Et le roi Richard fera til piquer la reine indiscrète par un aspic dissimulé dans la fiole?
Il y a des dangers dans les jardins!
Postée par Cléopâtre | 29 septembre 2005 - 00:21