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Dessine-moi ton sourire ?

Je viens d’une planète qui s’appelle Perdita dans la galaxie d’Andromède.
C’est un monde minéral dont je suis l’exception.
Les pierres m’ont acceptée et nous avons un langage commun. Jusqu’à il y a peu, je pensais être moi-même un minéral, j’avais la couleur d’un quartz rose avec des inclusions de grenats et des dents en pierres de lune.
Mais, comme ma planète se déplace en défiant toutes les lois de la physique, elle a fini par sortir de sa galaxie. C’est en errant dans l’infini, qu’une nuit elle s’amarra sans bruit à la terre et se fondit en elle, au point que je me vis seule au milieu d’un monde nouveau.
Les végétaux poussaient entre les pierres mes amies. Des animaux allaient et venaient dans une connivence parfaite avec l’inanimé.
Jusqu’à ce que je touchasse cet étrange caillou rond, il ne m’était jamais venu à l’esprit que je pusse être autrement que seule.
J’avais bien pour les pierres, mes amies, un vague sentiment de plaisir à leur parler et même à les caresser, mais nous étions si différents que ce sentiment s’arrêtait à quelques caresses innocentes et à quelques échanges de vue sur la pluie et le beau temps.
Quelle ne fut pas ma stupeur lorsque j’aperçus le premier être qui me ressemblât vraiment.
Il était jeune et dans mon esprit, parfaitement beau, quoique j’en visse plus tard beaucoup d’autres qui tout en lui ressemblant pouvaient aussi être considérés comme agréables et beaux.
Bien entendu, j’en devins amoureuse.
Il répondit à mon désir et je sus enfin ce qui me différenciait des pierres et m’attachait par les sens et le cœur à mes semblables.
Cela était si nouveau pour moi que ce premier homme cru que je n’aimerais jamais que lui.
Or, sur Perdita j’avais été si privée de tout ce dont les humains trouvent en abondance. Je n’eus pour l’auteur de ce premier contact qu’une sorte de reconnaissance émue qui ne compensait pas la soif que j’avais de connaître d’autres étreintes dans d’autres bras ; ce qui, je le compris plus tard est parfois considéré comme une raison suffisante de rupture et d’éclats.
Je partis donc par les chemins, ma curiosité et ma soif d’aventures jamais satisfaites, mais avec toujours l’honnêteté de dire à ceux qui passaient dans ma vie que si je les aimais, ce n’était pas une raison suffisante pour que je me dispensasse d’en aimer d’autres.
Cependant, résolument humaine, je résolus de goûter aussi à la jalousie, sans vraiment l’éprouver, à l’amertume des rendez-vous manqués tout en étant déjà à imaginer une nouvelle rencontre devant mon café-crème, à la solitude aussi entre quatre murs à vouloir frénétiquement m’en sortir en tapant des appels à la tendresse sur mon clavier d’ordinateur, bref, à être en quelque sorte une personne curieuse de tout et résolue à épuiser toutes les joies de la terre avant de remonter sur mon petit caillou et repartir vers Andromède, afin d’y renouer avec la vie antérieure.

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Au bout de quelques années d’aventures, je me rendis à cette vérité que je n’étais pas faite pour trop souffrir et je me détachai peu à peu des hommes. Comme je n’avais pas été adolescente sur cette planète, je compris que je venais de traverser l’âge ingrat et que l’âge mûr me réserverait sans doute d’autres joies.
Quelle ne fut pas ma déception quand je me trouvai devant les mêmes hommes en pâmoison mais avec des rides et des poils blancs dans la barbe, tenant les mêmes discours et ayant les mêmes désirs !
Quoi, tout ne serait donc qu’une longue redite qui, du premier homme au dernier, recommence identique, de gestes et de paroles rabâchées depuis la nuit des temps !
Certes, nous nous aimerons toujours. Bien évidemment nous ne nous quitterons jamais. C’est entendu ce sera comme la toute première fois, quand il suffisait de se toucher pour sentir monter en soi l’infini des plaisirs… avec cependant une différence : celle d’une usure indéfinissable, des mots, des gestes, des désirs et une peur sourdre du couple que je formais avec mes partenaires successifs, celle rémanente d’un accomplissement et d’une fin, bref la déchéance mécanique des organes d’habitude gorgés de sang et qui se délitent dans les débats intérieurs dans l’angoisse d’une extinction annoncée.
Je parlais de tout cela avec mon ami Epaminondas, ce général thébain qui jadis servit d’exemple à toutes les vertus et qui était dans ce salon de dégustation de la Foire d’octobre à partager ses croustillons avec moi.
Il me regardait sans trop montrer qu’il m’aimait dans la tradition de la philosophie du renoncement, pour cause de retraite méritée et visible de par sa crinière blanche…
Il était lui-même d’une autre planète, celle où les hommes vivent en étant revenu de tout sans être allés vraiment quelque part.
Il était comme moi, incertain, à la fois nostalgique du passé et curieux de l’avenir. Et je pensai que nous eussions pu nous rencontrer sur une autre planète. Je ne pouvais lui accorder la seule chose qu’il eût encore désirée ce soir-là, dans la cruauté du décalage du temps entre lui et moi. J’en fus même à hésiter que nos lèvres se rencontrassent, quand sonna l’heure de la retraite.
Je pus ainsi quelque peu compenser chez ce général vaincu, l’acharnement du mauvais sort, par ce modeste don de la caresse brève.
Je regrettai, cependant, que ce baiser ne fût pas spontané de ma part, et qu’il succéda à une hésitation que plus rien n’effacera jamais…
C’était comme l’adieu de Bérénice à un Titus moribond.
Depuis, je suis retournée sur mon caillou et je repars seule vers Andromède. Dans mille ans, quand je toucherai au port, ce sera comme si rien de tout cela ne s’était passé. Ce sera bien.

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