Tu montes, chéri ?...
…t’auras du profit !
Dans cet éden où l’on se trouve si bien que les jeunes brûlent des voitures, tandis que les vieux n’y comprennent rien, la priorité va au profit, tenu pour originel. Bien avant le big bang, il devait déjà être là, à croire que le profit, c’est Dieu…
Le profit est, ensuite on se débrouille avec les reliefs des repas de l’Autorité suprême, le créateur des richesses, sans lesquelles nous ne serions que pouilleux mendiants. C’est-à-dire qu’il n’y aurait rien, pas même ce qui traîne sur la nappe, os de poulet, gras de bœuf et rôtisserie noircie des fonds de poêle, pas de travail, aucun troquet… la zone, sans même une bagnole qui crame !... C’est dire le désert.
Ma tante qui est inscrite depuis quarante ans au parti socialiste est bien d’accord avec Elio : « Il ne faut pas tuer la poule aux œufs d’or. ». « Il faut des riches et des pauvres » disait-elle sentencieusement. « Sans riches, tu peux me dire ce que feraient les pauvres ? »…
Tout le parti bien d’accord. Sans pauvres, donc sans riches, comment le parti pourrait-il être réformiste ?
La preuve, nous sommes encore à la même place qu’il y a cinquante ans à écouter les discours de ma tante et ceux d’Elio avec la même admiration, seule la bouche s’est quelque peu ouverte, avec un petit filet de bave plus long que celui de l’année dernière…
Le geste est cependant plus mou du grand leader, le menton s’affaisse, non pas par lassitude, mais par routine et habitude, avec le sentiment qu’à force, le discours de ma tante et le sien, bercés par une longue propagande, ont convaincu nos deux héros, que l’affaire est dans le sac et que nous sommes désarmés.
La propagande est efficace, tous les rappels ont rassemblé les termes positifs, judicieusement placés les mots qui séduisent.
Du socialisme de la lutte des classes, ce qui aujourd’hui resterait d’actualité si boulevard de l’Empereur le bureau du PS avait encore des couilles, nous avons glissé à la collaboration active au marché libre pour faire du profit un credo socialiste !... Un comble !... Les plans sociaux chargés d’envoyer à la casse et à moindres frais les futurs chômeurs, les privant des moyens de vivre et de s’abriter décemment, c’est l’Etat providence qui y pourvoit !... Il fait semblant de s’intéresser aux gens qui finissent dans la rue, pour éviter au Profit trop d’accrochages qui nuiraient au bon renom de la Belgique à l’étranger, histoire que le Prince Philippe nous ramène de Chine quelques bons contrats et quelques vases cadeaux pas trop ébréchés.
Voilà 25 % de la population « assistée » que le réformisme actif d’accord avec le libéralisme tendance Francorchamps (voir la kublamania) réduits à l’humiliation, alors que les héritiers du Profit sont de toutes les surprise-party des serres de Laeken et des Rotary, membres de la belle société et à coup sûr ennoblis, au moins barons, en fin de carrière…
Ce n’est pas anodin, l’échelle où nos grenouilles nationales nous parlent de la pluie pour nous et du beau temps pour eux.
Nos magazines sont unanimes, cette société, telle quelle, préserve de cette manière la cohésion sociale !
Comme sont devenus obsolètes, ridicules les mots : prolétariat, capitalisme, exploitation !
Quand on emploie ces archaïsmes, on passe pour un con.
Allez parler de ça à ma tante et à Elio, pour voir ? Tout le bureau du boulevard de l’empereur risque de péter les varices de rire ; je vois d’ici Moureaux me traiter d’illuminé ringard, Laurette de plouc désinformé, d’inadéquat trouduc…
Tous incrédules, la main sur le bouton d’urgence, ils m’expulseraient vite fait de leurs profondes études, sans examen superfétatoire de mes diallèles malheureux.
Ils me rappelleraient, ces profondément sociétaires du profit, que le mur de Berlin est tombé et que Staline était pire qu’Hitler.
Je n’avais à la bouche l’interrogation que tout le ponde se pose « Où on va à cause de leurs combines avec les supporters du profit ? »
Comment la gauche en est-elle venue à l’amnésie de ses anciens objectifs d’égalité et de justice ? Comment peut-on aussi peu sentir un présent qui n’augure rien de bon de l’avenir ?
Qu’est-il arrivé pour que le peuple soit entre les mains de ces pitres ?
Pourquoi une telle impuissance à faire valoir le travail et à en faire profiter ceux qui produisent nos richesses ?
Pourquoi, à la logique du marché et du profit, n’y a-t-il plus aujourd’hui aucune opposition sérieuse ?
Quelque chose d’effrayant pointe à l’horizon : celui d’un discours totalitaire d’une démocratie confisquée par une dictature libérale du profit !
Un culte nouveau à un veau d’or inaccessible pour tous !...