2006 au bord du gouffre
Ce siècle en ses débuts n’est pas si éloigné du précédent.
Il le continue même sur au moins un point, celui de l’indifférence féroce où nous conduit la marchandisation de tout et y compris de l’humain. Par réaction d’impuissance, le parti des indifférents regroupe les neuf dixièmes de la population. Sous le couvert des lois sociales qui octroient un maigre viatique à ceux qui sont sans revenu parce que sans travailou qui ont perdu la santé, on laisse s’installer l’égoïsme « charitable ». Il fait litière à la bonne conscience, en espérant qu’il ne se produira pas d’émeutes.
L’indifférence contrôlée est un satisfecit pour le pouvoir. Elle est le signe qu’il anesthésie bien l’opinion.
La massive indifférence assied les régimes dans une fiction de la démocratie. Les mécanismes de décision, les rouages qui relient les citoyens entre eux ne sont plus rien d’autres qu’une goualante à deux sous qui sauve les apparences.
On connaît les conséquences de ces cohésions supposées masquant le fossé entre les élus et ceux qui les élisent.
C’est ainsi que depuis le milieu du siècle dernier, grâce à cette indifférence, les paysages politiques et économiques se sont métamorphosés sans éveiller la moindre inquiétude.
D’abord inaperçu, le nouvel ordre du monde envahit nos vies, nos comportements et jusqu’à notre façon d’être, insidieusement et à notre insu.
A l’aube de 2006, voici un monde nouveau, inconnu, un monde où notre condition de citoyen c’est vassalisée, non pas au profit de nos élus qui nous auraient trompés, mais au profit d’une puissance supérieure qui les subjugue et les tolère en même temps. C’est à elle que profite essentiellement notre indifférence, étant bien entendu que ceux qui entretiennent en bons intermédiaires l’illusion de la démocratie, perçoivent de cette puissance, d’intéressants pourboires.
Tandis que se préparent des systèmes inédits pour lesquels nous sommes exclus des élaborations théoriques, nous agissons dans un quotidien qui ne nous éloigne pas tellement des années 1950. C’est comme si le nouveau plan Marshall du gouvernement wallon nous reconnaissait le droit pour un temps encore à vivre dans une organisation économique désormais dépassée et inopérante.
Tout s’imbrique et se met en place pour un autre mode de vie.
Seuls le voient déjà, ceux qui justement vivent dans la précarité « grâce » à notre générosité. Tandis que l’Etat se pliant à la volonté de la puissance supérieure qui le domine, accordera de moins en moins d’aide à ceux qui en ont besoin, malgré les milliards qu’il manipule.
Toute protestation étant désormais inutile, nous assistons sans broncher aux démantèlements des entreprises publiques comme les chemins de fer et la Poste, comme si cela était un mieux de les offrir en pâture aux particuliers. Nous ne sommes pas placés devant un fait accompli, nous sommes à l’intérieur du système, partie à la fois prenante et lésée.
Désormais du parti des aquoibonistes, notre passivité nous a fait tomber dans des mains étrangères qui ne rendent des comptes qu’à leurs banquiers.
Ce qui est surprenant, c’est de vérifier tous les jours qu’un tel système s’est imposé de lui-même et sans l’aval démocratique ; qu’il nous est advenu comme le dogme d’une religion intégriste sans provoquer des remous, ni commentaires autres qu’énamourés.
En phase terminale, ce système a conquis tout l’espace politique et économique sans une seule élection et sans aucune garantie. La prééminence des marchés est devenue un incontournable présupposé. Ce système a confisqué les richesse et s’est attribué le droit de les répartir, tout en marchandant à petits prix les biens nationaux qui, à l’exemple de 1793, enrichit en un tour de main des aventuriers.
Une fois les richesses de la Nation à leurs pognes, les promoteurs les ont mis à l’abri dans des coffres. Ils se servent de leur puissance pour des trafics abstraits. Nous sommes les vecteurs inconscients de leurs magouilles virtuelles à l’aide de nos cartes bancaires dont nos nouveaux portefeuilles ont épousé les formats.
Et tandis que nous nous enfonçons dans un inconnu que nous n’avons pas voulu politiquement et socialement, au nom d’une puissance extérieure à l’Etat quasiment surnaturelle, nous allons à petits pas vers nos cimetières économiques de ferrailleurs dépassés.
Nous n’apercevrons les conséquences de cette gestion globale que lorsqu’il sera trop tard. Nous éprouverons d’abord une peur vague, lorsque viendra la raréfaction du pétrole, sans bien savoir gérer notre angoisse.
Nous resterons passifs devant la hausse du chômage. Nous n’accuserons vraiment les véritables responsables de la catastrophe que lorsqu’il sera trop tard, c’est-à-dire lorsque notre capacité d’entreprendre singulièrement amoindrie par les grands transferts de machines et de technologie, sera émoussée. Entre-temps nous aurons été persuadés que notre imagination dans la recherche créerait de nouveaux débouchés. Elle s’avérera bien incapable à nourrir la population. Nous survivrons alors dans un désert économique, comme en Afrique. Juste retour des choses, nous serons dépouillés comme nous avons dépouillé les autres…