L’Education des abîmes
On a cru longtemps que l’égalité des chances passait par l’éducation, et qu’un fils d’ouvrier qui en avait dans le citron pouvait passer d’une classe à l’autre sans regarder derrière lui.
On voit bien comme la société se structure ou plutôt se déstructure, qu’il n’en est rien.
Ce qu’on nous montre, avec l’accord du brillantissime fils et petit fils d’ouvrier devenu une personnalité médiatisée et écoutée, n’est qu’un leurre à la gloire des classes méritantes, afin de mieux endormir les autres dans la croyance d’une société de progrès.
On n’a pas encore trouvé la formule miracle de l’adaptation de l’intelligence, si difficilement mesurable, au triomphe de la société de consommation. Le gâchis va même s’accentuant plus on s’éloigne de l’humanisme pour s’enfoncer dans la pratique du concret commerçable.
Toute élévation dans le concept libéral pousse la classe bourgeoise à virer aristocrate, c’est-à-dire à se replier sur elle-même, avec les semblants d’un Schweitzer à l’humanisme éclatant. Sa seule capacité est de faire plus de fric que les autres en s’adaptant aux offre et aux demandes des petites merdes de production purement matérialistes.
A de rares exceptions près d’altruisme évident, les professions libérales tombent, elles aussi, dans la fosse à purin collective, y compris celle de la médecine qui n’est plus que le moyen d’atteindre des honoraires élevés, avec la conscience de l’avoir échappé belle, aux exemples si convaincants des sous statuts, à commencer par celui d’infirmier.
C’est une légende de ces bourgeois ennemis d’une égalité élevant les ouvriers à leur niveau. N’étant pas encore touchés par la faillite du capitalisme, ils ne croient plus que l’Etat puisse instaurer une forme de sélection par l’école, sans passer par leurs critères. C’est-à-dire sans passer par leur sélection. Alors, ils se moquent bien de l’opinion qui les soupçonne d’opposer leur propre barrage à l’éducation des masses. C’est le système lui-même profondément inégalitaire qui fait le travail à leur place.
Les parents doivent savoir qu’on ne forme plus dans la plupart des cas qu’aux fonctions de sous homme, triste sort du plus grand nombre.
Et il ne pourrait en être autrement dans une société qui tient à ses hiérarchies par ses discriminations volontaires qui établit des quotas comme en médecine, afin d’assurer le contrat des privilégiés entre eux, alors qu’il n’a jamais été question d’établir des quotas dans la peinture, l’ajustage ou la tôlerie, quand bien même il existe dans ces professions des taux de chômage élevés.
Si l’instruction est essentielle au projet démocratique, on peut dire que c’est par là qu’on voit bien qu’elle est profondément malade.
On en est arrivé à ce que Bourdieu éprouvait lorsqu’il conférait aux privilégiés le privilège suprême de ne pas apparaître comme privilégiés, quand dans sa dialectique, il nous incitait à réfléchir « …parmi les présupposés que le sociologue doit au fait qu’il est un objet social, le plus fondamental est sans doute le présupposé de l’absence de présupposés ».
Et c’est en partie le nœud du drame. Ce ne sont pas les intéressés à l’éducation qui nous recommandent le système, mais ceux dont la seule raison d’être est de le vendre !
Ce sont nos marchands de mirage qui accusent la jeunesse de leur propre impéritie. Ainsi leur imposture éclatent au grand jour, lorsqu’ils prétendent nous donner à chacun une place, alors qu’en réalité ils maquillent en justice et raison le destin inéluctable qui force la plupart d’entre nous à des ignominies qu’on ose encore appeler conditions sociales. C’est ni plus ni moins culpabiliser des innocents. C’est commettre un crime et inciter à la désespérance. C’est nous faire croire que les chômeurs sans qualification n’ont pas d’intelligence et que chacun est bien là où il doit être par la vertu des diplômes qui confèrent un statut mérité pour les uns et une descente aux enfers pour les autres.
Alain Finkielkraut est bien dans la ligne des penseurs de la droite indécrottable, lorsqu’il se moque de Sartre dans la définition de l’homme « …fait de tous les hommes et qui les vaut tous et que vaut n’importe qui ».
L’élitisme bourgeois de Finkielkraut atteint des sommets dans son oeuvrette « L’imparfait du présent », mais en même temps nous renseigne parfaitement sur l’état d’une société élitiste et arbitraire, de laquelle nous n’avons rien à attendre.
L’éducation telle qu’on nous la vend aujourd’hui ? Une supercherie qui conduit tout droit à l’abîme.