Lettre ouverte aux citoyens-cons.
Le citoyen-con se plaint. Il se lamente. Il exige d’être mieux protégé.
Jaloux de ses prérogatives, l’Etat ne supporte pas d’autre terrorisme que le sien. Il ne demande pas mieux que de voler au secours du citoyen-con. Sous des dehors compréhensifs, il serre la vis et rogne un peu des libertés qui restent. Par vice ? Par vertu ? Non. Simplement parce que le côté économique de l’organisation sociale lui échappant totalement, il reporte sur le citoyen-con toute sa volonté de pouvoir. Il faut démontrer que puisqu’il n’est pas invité quand Dollé et Mittal discutent le coup sur le sort de dizaine de milliers de travailleurs, lui - l’Etat - sert encore à quelque chose !...
Le citoyen-con ne comprend pas. Il se demande comment avec toutes les protections qu’on lui donne, il se sent de plus en plus malheureux, inquiet, désemparé, traqué. C’est qu’on le surveille. Des radars, des caméras, des écoutes téléphoniques, des interdictions de dire des convictions qui ne plaisent pas au plus grand nombre, sont là parce qu’il les a souhaités et voilà que, maintenant qu’il les a, les accidents sont toujours aussi meurtriers, les escrocs toujours aussi efficaces, les petits voyous toujours aussi performants et les Hans Van Temsche toujours aussi pervers dans les rues d'Anvers.
Et tandis qu’il réagit avec effroi aux propos incendiaires des intégristes musulmans, l’Etat se frotte les mains et sous prétexte de la dangerosité extérieure, entreprend des restrictions intérieures, bientôt corroborées dans le climat de crainte qu’il entretient en multipliant par dix les effets d’annonce du geste d’un maniaque ou d’un pervers.
L’embêtant, c’est que le citoyen-con ressent plus le poids des interdits et des prescriptions que la petite crapule du coin de la rue. Alors que le personnel politique délinquant, celui-là même qui criait à la vertu et à la Loi nécessaire, se fout de sa gueule, il se sent doublement con, refait… le citoyen-con !...
Un canif à cran d’arrêt, mieux un pistolet du grand-père résistant dont il ne sait pas s’il marche encore, deviennent un crime. Un souvenir innocent, se transforme en pièce à conviction ! Tout cela par un jeu d’écriture, une décision lointaine, une affaire bruxelloise concoctée dans des cabinets ministériels où il n’aura jamais accès et où personne – jamais – ne lui demandera un avis… Alors, tout en souhaitant que tout objet contondant, toute lame, tout engin de tir disparaissent à tout jamais, il s’aperçoit que cela ne va pas ainsi et que plus on le désarme, plus le crime s’arme et plus il se sent enchaîné au destin d’un Etat dont il commence à douter de la sincérité. Il perd de son autonomie et de la libre possession de ses objets personnels… Le pays se désarme, soit, un ou deux millions d’objets, de ferrailles qui ont ou qui sont encore capables d’ouvrir le feu, certes, mais dont on n’a jamais parlé. Un million de tireurs potentiels qui n’ont jamais tiré pourrait devenir un million de délinquants !... Tout cela parce qu’un salaud sort dans la rue pour « se » faire quelqu’un qui n‘a pas l’apparence d’une épaisse flamande aux yeux bleus !
Et les crimes des fous, des racistes, des maniaques se suivent avec la même régularité depuis un siècle sans grand changement dans les statistiques, sur le temps que le citoyen-con voit son univers qui bascule.
C’est que le citoyen-con croit que les Lois changent les hommes et que les criminels en puissance vont s’y soumettre et qu’ainsi le risque zéro sera l’œuvre de Laurette Onkelinx. C’est que le citoyen-con croit qu’en faisant des lois contre le racisme, le raciste va disparaître et qu’on ne l’entendra plus.
C’est que le citoyen-con pense, qu’en mettant le paquet de clope hors de portée des indigents, on ne fumera plus.
Alors, le citoyen-con se réjouit qu’on interdise tout… sauf l’alcool qui fait bon an mal an plus de victimes à lui tout seul que toutes les drogues ensembles. Le citoyen-con voudrait que l’on interdise l’alcool aussi. C’est l’Etat qui ne veut pas. Il a peur du ras-le-bol et d’un soulèvement de gens parmi lesquels il y aurait le citoyen-con.
Quand comprendra-t-on que cette folie sécuritaire, cette rigueur dans le bien dire, cette manière forte de veiller à notre santé, n’est qu’une volonté de conserver le pouvoir par une sorte de force centrifuge qui nous aspire dans une dictature molle, mais inquiétante !
J’en suis à me demander si ça vaut encore la peine de s’exprimer par les moyens les plus modernes pour revendiquer un droit à la différence de la moutonnante attitude ?
Qu’est-ce que ça fait, après tout, que j’aboie en do quand la Loi m’ordonne d’aboyer en si ? Si ce n’est qu’avec le temps, le fait de conserver dans mon tiroir un tire-bouchon en métal pourra me conduire aux Assises ? Tandis que, les citoyens-cons regroupés diront en chœur que c’est bien fait pour ma gueule.
Il y a des tentations ainsi de rentrer sous sa tente, cerné par les cons, réduit à l’impuissance, de la fermer définitivement par excès de dégoût.
Et puis on se dit, c’est trop bête à la fin, de finir en silence, comme si on était d’accord avec eux ?
C’est trop bête de voir les juristes, les politiques et les citoyens-cons se ruer aux élections communales choisir entre la peste et le choléra, les mêmes histrions qui bouffent ma liberté, sous prétexte de sécurité, alors qu’ils savent bien que s’ils nous font des Lois inutiles, c’est bien parce qu’ils souhaitent passer pour des héros et être réélus dans leurs communes, parce qu’ils aiment être au devant de nous, goûter à leurs petits fromages et s’émanciper des propres lois qu’ils édictent.