Papa pique, maman coud... les enfants trinquent !
Cela va faire dix ans que la gauche dénonce les trafics honteux des multinationales qui délocalisent leurs entreprises vers des zones à monnaie faible et à main-dœuvre bon marché, faisant travailler par sous-traitants interposés, des femmes et des enfants à des salaires de misère.
Officiellement, ces sociétés se sont dotées dun code de bonne conduite inspiré des Droits de lhomme. Ce qui fait douter de leur bonne foi, cest quelles commandent de leur argent des cabinets daudit occidentaux pour enquêter sur place. Cest un peu comme si vous payiez un juge pour faire votre procès. Limposture est tellement flagrante que certaines multinationales moins rapaces que dautres ont décidé de se doter de règles de déontologie communes, en se regroupant sous des critères minimums.
Seulement voilà, avant quune « inspection » sannonce, de mystérieux correspondants préviennent les directions. Cest ainsi que daprès Laure Belot du journal « Le Monde » « lors de la venue des auditeurs sociaux du cabinet SGS mandaté par Carrefour » tout était nickel dans le vaste hall où saffairent plus de trois cents « piqueuses » à la machine de cette entreprise textile de New Delhi.
Après le départ de la délégation tout serait redevenu comme « avant », sans préciser ce quentendait par là, Neera Singh Parihar, ingénieur textile.
On ne peut pas dire que la situation soit pire en 2003. Des ASBL comme OXFAM tentent de faire appliquer les règles du travail de lOIT (Organisation Internationale du Travail). Ce qui nest pas facile, dans un pays comme lInde où les sous-traitants de sous-traitants se ramifient et se diluent dans les banlieues pauvres. Quant à la Chine, nen parlons pas. Le Gouvernement de Pékin assimile les inspections au rang despionnage, ce qui dans ce charmant pays est passible de la peine de mort.
On assiste donc à laube de ce troisième millénaire à lexplosion du marché chinois en expansion de 10 % lan. Il faut voir nos industriels dans leur exercice du double langage, dune part se féliciter que sétablissent des règles sur le travail des enfants, des femmes, des salaires et, dautre part, admirer le « bond en avant chinois » sans état dâme, pour comprendre comme ces libéraux se fichent de nous dans les grandes largeurs (puisque nous sommes dans le textile, usons de cette comparaison).
Nos éblouissants stratèges délocalisent pour la deuxième fois, surtout dans le domaine du textile.
Sur trente années, le bassin lainier de Verviers aura vu toute sa production basculer en Inde, mettant à la rue des milliers de famille. Cest lInde qui aujourdhui perd des emplois de la même manière pour le bénéfice de la Chine.
Tout cela sans grands contrôles et avec la bénédiction de nos dirigeants politiques qui promeuvent les visites dindustriels souvent accompagnés du prince Philippe..
Décidément les entrepreneurs sont incorrigibles.
La protestation même passive a perturbé des multinationales comme Levis, Nike, Reebok et Gap. Là, ce sont des organisations non gouvernementales américaines qui ont alerté lopinion occidentale. Ce fait est assez rare pour quil soit souligné.
Quelques dates permettront de jalonner une prise de conscience qui démarre malgré tout.
1996 : apparition des codes de bonne conduite type.
1999 : Les Nations Unies énoncent une liste de neuf principes sociaux.
2001 : Sous la pression de lopinion, les audits sociaux deviennent plus nombreux, sinon plus efficaces.
2003 : Les Nations Unies votent à lunanimité un texte qui souhaite que les entreprises soient visitées régulièrement par des inspections. Malheureusement, ce texte, comme presque tout ce qui sort du bâtiment de verre de Manhattan, na pas force de loi.
Peut-être bien quun jour, dans 25 ou 50 ans, nos hardis pionniers de lexploitation de la misère reviendront chez nous réinstaller toutes leurs machines à sous derrière lesquelles tout ce beau monde oublie quil y a des bras, des corps, des vies qui souffrent et qui ont définitivement abandonné lespoir dun monde meilleur.