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Renoncer à savoir, sans renoncer à juger ?

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Le procès aux Assises de l’affaire Cools, c’est pour bientôt, sauf rebondissement de dernières minutes. Celui de Dutroux est prévu courant de l’année prochaine.
Deux affaires qui ont secoué la Belgique.
Une similitude entre les deux, les instructions n’ont pas découvert de complot et des complicités en haut lieu pour l’assassinat du « baron » de Flémalle et pas de réseau pédophile commandité par des « huiles » pour le second.
Alors que pour le premier, le clan « Marcel Cools » fils de la victime est persuadé que l’on veut protéger des personnages politiques ; même suspicion vis-à-vis de la Justice et de l’instruction de la part des parents des petites victimes, en cela suivi largement de l’opinion publique et des Comités blancs.
Rares sont les journalistes qui créditent les versions « populistes ». La presse suit en général les thèses officielles, à savoir crime crapuleux perpétré par des voyous pour l’un et crimes d’un pédophile isolé pour l’autre.
Il n’existe pas de presse people en Belgique sinon celle que nous recevons de France et qui souvent joue avec les événements dont elle dispose sans bien connaître les dossiers belges. Nous retrouvons dans les articles qui nous concernent l’opinion populaire en gros, à savoir : suspicion envers la justice cherchant à couvrir des gens pour raison d’Etat.
La Justice au stade de l’instruction en Belgique n’accorde pas les mêmes droits aux victimes qu’aux accusés, à savoir l’accès aux dossiers. Des thèses en présence, personne, honnêtement, ne peut se risquer dans les deux affaires à donner un avis fondé sur des faits et des interrogatoires qui sont – en principe – inaccessibles au public.
La presse ne peut appuyer ses convictions que sur deux éléments, l’un pratique, l’autre spéculatif.
Il y a en premier lieu les fuites, qu’elles émanent du Parquet, des magistrats ou des enquêteurs. Enfin, tout ce qui porte sur la spéculation qui entraîne la conviction.
Le malheur, en Belgique, c’est que l’on veut faire les procès avant ceux qui les instruisent !
Et c’est là que je ne suis pas d’accord avec l’ensemble de la presse « bien pensante ».
Le journaliste est un travailleur intégré dans une société dont il partage en général les valeurs. Qu’on ne vienne pas me dire qu’il existe en Belgique beaucoup de gens du métier qui auraient été capables d’aller jusqu’au bout dans une affaire comme celle du Watergate qui a entraîné la destitution du président Richard Nixon.
Il est donc pour quelqu’un d’impartial aussi peu convainquant de suivre la conviction des journalistes que celle de Marcel Cools ou des parents de Julie et Melissa.
Les références au passé, la raison, la connaissance des hommes, la philosophie pratique, tout nous entraîne à penser comme Jean-Jacques Rousseau lorsqu’il écrit dans des circonstances à peu près les mêmes : « Ceux qui voudront traiter séparément la politique et la morale n’entendront jamais rien à aucun des deux ».
Le philosophe Bourdieu reprend deux siècles plus tard l’essence de cette réflexion : « Ceux qui ont opposé au droit magique ou de l’ordalie, un droit rationnel fondé sur la culpabilité et la prévisibilité, oublient que le droit le plus rigoureusement rationalisé n’est jamais qu’un acte de magie sociale qui réussit. »

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Magie sociale qui réussit ? S’il s’avère que la Justice se trompe, soit sciemment, soit inconsciemment, alors on pourrait dire que tous les journalistes qui se sont plantés auront été victimes de la « magie sociale ».
Eh oui ! Il n’y a pas que dans les romans ou dans la politique fiction qu’une société basculerait à ses échelons supérieurs dans le crime et les dérèglements moraux.
Mais cette éventualité-là est impensable dans le concept d’une éducation bourgeoise dont les journalistes et les magistrats sont abondamment pourvus.
Etrangement contradictoires sont le principe de la démocratie au suffrage universel et l’opinion publique, celle du plus grand nombre ou il s’en faut de peu.
Les Lois nous disent que c’est le peuple qui est souverain. La réalité nous oblige au constat que l’opinion du peuple a toujours compté pour peu. Or, s’il y a bien un domaine où l’opinion publique n’est pas suivie par nos grands démocrates, c’est bien dans la piètre estime, pour ne pas dire pire, où elle tient la justice.
Si j’ai cité quelques grands de la pensée, n’en concluez pas trop vite que c’est par pédanterie. Si je ne l’avais pas fait, il se serait trouvé quelques esprits retors pour dire que « tout ce qui est excessif ne compte pas » (ce qui est bien encore une expression, elle-même extrême, où se complaît l’esprit bourgeois).
Comme un critique se garde bien d’écrire que le « Misanthrope » est une pièce ratée sous peine de se faire passer pour un imbécile, il me paraît pour le moins hasardeux de faire pareil avec Rousseau et Bourdieu, auxquels j’ajouterai pour faire bon poids Montaigne – oui, celui de l’esprit des Lois – « Le bien public requiert qu’on trahisse et qu’on mente et qu’on massacre… La justice en soi, naturelle et universelle, est autrement réglée et plus noblement que ne l’est cette autre justice spéciale, nationale, contrainte aux besoins de nos polices.»
Alors, ces deux affaires ? Complot de partis politiques ? Réseau pédophile incluant des personnages en vue de la Nation ?
A la place de Messieurs les bien pensants, je serais plutôt inquiets. Pourvu, bonté du ciel ! Qu’en cours de route, rien ne contrevienne à la vérité officielle, celle, si âprement défendue par tous ceux qui participent à la pérennité des Institutions.
Que tous se rassurent, comme il va de soi, il n’y aura rien de plus dans ces deux procès que ce que les juges d’instruction y auront mis.
Les journalistes feront des comptes-rendus d’audience qui iront parfaitement dans le sens d’une criminalité de bas étage, à la satisfaction générale.
Tout le monde pourra vérifier le bien fondé d’une dernière citation, celle de Philippe Garnier : « Une fois pour toutes, « l’esprit bourgeois » n’est pas une question de niveau de vie. On n’a pas besoin d’être riche pour souhaiter que rien ne bouge et pour craindre le désordre ».
Que les bien-pensants et les pantouflards reposent en paix. Il y a encore pas mal de bon temps à prendre dans une Patrie reconnaissante qui n’a pas son pareil pour choisir ses élites.
Dans ce genre de procès, comme ceux qui les ont précédés d’ailleurs, un doute supérieur planera toujours sur les spéculations (dixit Malebranche).

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