Voyage... Voyage...
Quest-ce qui fait courir les gens ?
Ce besoin daller voir ceux qui ont la tête en bas ?
Si les épicéas sont plus verts au Nord ?
Sil est vrai que les rameaux de sassafras frémissent au vent ?
Si les femmes de lhémisphère Sud ont le nombril qui tourne à gauche ?
Moi, quand il marrive de voyager, à peine suis-je parti que je mennuie.
Loin de mon cher Saint-Simon, de mon habitude à lire deux pages de « Mort à crédit » ou « Dun château lautre » quand les soucis maccablent, de feuilleter « Le Monde » en mangeant un croissant, la plage me détruit.
Les Villes dart ? Bon, il y a Florence. Les Offices… et après ?
Sur la piazza della Signora on photographie le faux David, le vrai est au musée de lAcadémie.
Quand on la vu une fois… Cest comme la statue de Charlemagne au boulevard dAvroy. Non, cest un mauvais exemple…
Je connais une nana qui a plaqué son bonhomme parce quil na pas été fichu de forcer la porte de latelier des pierres dures à Florence, pour sen aller triomphante claironner à tout le monde quau bras de Luigi cétait plus facile, lannée suivante ! Voyage… voyage… A lHôtel Arno on lentendait depuis lautre rive gueuler toute la nuit : au moins celui-là, il en a une « a commesso » !
Toutes les Villes dart ont un point commun : lancien. Je nai rien contre, dautant que lart moderne, cest pire. New-York, Broadway, la nuit, cest la foire doctobre en hauteur, à vomir. Il ny a que Woody pour trouver de la poésie au pont de Manhattam.
Un livre chez vous bien relié avec de belles photos, Florence, Rome ou Naples, cest mieux.
Surtout quand vous connaissez ces villes exactement comme le photographe, alors que vous navez pas été foutu de jeter un regard ailleurs, sauf si votre hôtel nétait pas au Ponte Vecchio, mais au fond dune ruelle bien loin de la via Lorenzo il Magnifico.
Cest partout pareil. Surtout les paysages. Quest-ce qui ressemble plus à la face Nord de lEiger que sa face Sud ?
Et des expéditions à préparer pour de ces départs où lexcédant de bagage gâche le plaisir à peine à Zaventem !
Pour les puristes, lItalie nest pas assez éloignée. On ne connaît rien si on na pas fait Bornéo, les Iles Sous-le-vent, vu les nuages de moustiques de la Casamance ou sêtre fait piquer son portefeuille à Baïa do Castello en revenant dun tour dans le Mato Grosso do Sul.
Je trouve Jacqueline jolie. Elle me parle de Katmandou. Elle devient laide ! Elle tourne son moulin à prières, en me parlant du Dalaï Lama. Je mendors au 12me enseignement.
Elle déballe ses photos souvenirs sur le lit. Cest une après-midi de fichue !
Je pense à Georgette si formidable casanière que jen ai le désir, si elle ne se laissait pas dévorer son temps par ses animaux, sinon comme elle me plairait !
Avez-vous vu le plafond du Théâtre Royal ? Celui du Conservatoire ? …avant de sortir les dernières photos de Hammamet où vous vous êtes ennuyés sans loser pouvoir dire ?
Et Zénobe Gramme sur le pont de Fragnée ? De trois quarts, sur le trottoir den face, une de ces gueules à jouer des mélos sur la scène du Châtelet ! Tout à fait la statue de Balzac par Rodin, dans le jardin de son musée parisien, devant les portes fenêtres larges ouvertes. Au moins en cinglant vers la boule de cuivre de léglise Saint-Vincent, vous allez éviter les fesses de bronze de Camille Claudel. Et puis pour un Liégeois faire du tourisme à Liège offre lavantage, quand on en a sa claque, de pantoufler dans la demie heure.
Si vous nen avez pas assez de sculptures, de peintures, déglises romanes, dart abstrait et de toiles baroques, que vous êtes dhumeur à marcher quelques kilomètres, vous allez vous enfermer dans la spirale du musée de la rue Féronstrée. Vous vous mettez dans la tête que vous êtes une vieille Simca au troisième étage du parking de la place Saint-Paul. Prenez les virages au frein devant les toiles de nos pompiers locaux jusquà la sortie. La dernière fois, jai mis douze minutes. Jai dérapé devant Richard Heinz et frôlé ses sapins. A la prochaine, je le fais en onze minutes.
Et les dangers, les attentats, ces touristes gardés dans les déserts, les vêtements en loque, laventure quoi ! Cela vous manque à tourner autour de la place du Marché en attendant louverture de lEglise Saint-André ?
Jetez-vous dans lindifférence. Vivez dangereusement.
Choisissez un mancheux qui a des yeux comme ceux dun scaphandrier, allez vers lui lentement, arrêtez-vous un moment afin de susciter en lui de lespoir ; puis passez votre chemin, sans vous retourner. Vous allez avoir quelques secondes la frousse de linvective. Si rien ne se passe, revenez et donnez généreusement au moins un euro. Le frisson mérite cela.
Qui ose prétendre quil ne se passe jamais rien en dessous de la rue Saint-Gilles ?
Vous avez le droit de changer de trottoir, dêtre saisi par une logorrhée irrépressible ou de boire une bière affalé contre une borne téléphonique (trottoir de droite). Pissez sur le marbre du Tadj Mahal en Inde, pour voir la différence ?
En rentrant chez vous, posez-vous la question de savoir les raisons qui font que tant de Liégeois nous viennent des quatre coins du monde (pour une sphère limage est hardie) ? Alors, pourquoi iriez-vous glander dans les bleds quils viennent de déserter ? Je mourrai sans avoir mis une semelle dans au moins cent rues de Liège. A quoi bon cueillir ledelweiss là-haut, si on me lapporte au bistrot ? Lexploration commence aux confins de la rue Sous-LEau. Connaissez-vous le Thier du Bouhay, tas dincultes, et lOasis à son sommet ?
Je naime pas les paysages qui me dominent, dit Jules Renard.
Alors, chez vous sans avoir besoin de défaire votre valise, sans risque de vous endormir à la projection de vos propres dias, sans vous gêner en invitant ceux qui reviennent de quelque part et qui non content de vous assommer de leurs récits, finissent par vous décrire à lavance ce quils vont voir lannée suivante, prenez un livre en évitant les relations de voyage, celui de Stendhal en Italie - hormis le style hors pair - est particulièrement éprouvant, et regardez avec satisfaction la pluie qui frappe la vitre, avant que lauteur parle de lui. Que peuvent-ils faire dautre ?
Les voyages autour de ma chambre ont toujours été ceux que je préfère.
Jen ai payé le prix. Mes femmes ont foutu le camp. Une femme pense quelle vieillit moins vite dun ou deux mois par an, juillet et août, quand elle voyage ! Allez lui dire le contraire ?
Et puis cest la mode. Tant pis si vous faites ringard. Etre le ringard dun con, il y a du ragoût !
Mes amis qui ont emprunté mes valises, ont préféré rompre notre belle amitié plutôt que de me les rendre !
Mon ami denfance, sous peine dêtre cocu, vit son cauchemar en juillet. Il croyait sen être tiré à bon compte, quand il a surpris sa femme dans les filets dun pêcheur de lîle de Ré où il loue une maison chaque année !
Du coup sa femme lui a interdit de me revoir sil veut quelle lui pardonne de lavoir trompé !
Vous vous retrouvez moine au Mont Athos dans votre refuge du Mont Saint-Martin à la différence que personne ne vous hissera le panier de bectance une fois par quinzaine. Dommage.
Mais, cest à ce prix que sacquiert la sagesse.