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La poésie au parking du Palais

Ce n’est pas qu’une spécialité liégeoise la poésie en cave. C’est quasiment une manie française depuis Saint-Germain-des-Prés, quand Boris trompettait et Juliette truandait le touriste. « Il n’y a plus d’après… » résume mal… Il n’y en a jamais eue tant.
La dernière fois que j’y suis descendu, c’était derrière le Palais avec une autre Juliette qui balançait entre se débarrasser de sa robe au parking des robins et endosser une salopette ou sortir de chez elle fringuée comme sa femme de chambre.
Finalement elle adopta le mouchoir déplié sous les fesses et une robe dégriffée (dégriffée ne signifie nullement dégrafée).
La Ville n’était pour rien dans le décor. D’ailleurs, elle est rarement pour quelque chose. Ce n’est pas qu’elle soit radine, mais la poésie, vous pensez… Ça fait combien d’électeurs ? A part deux ou trois zigues qu’on voit partout… qui ont à l’avance une chance sérieuse dans les concours… des valeurs sûres, des tronches à palmarès… les autres ne comptent pas beaucoup dans les forces vives… Vous pensez si Rimbaud revenait, comment il serait accueilli par l’Echevinat aux Affaire culturelles… de ces ramponneaux sur la gueule !...
Plutôt Karamazov et compagnie dans ce trou à rats infréquentable très fréquenté.
Du hirsute en velours à côte à la Roger Somville pour arrière fond Murger en gala au Royal, à l’ancien « Tubes de la Meuse » converti au haďku par un Chinois démonteur de ladite usine, le snob aime le dépaysement.
Longtemps Roture fut un Greenwich Village, la Cage aux Lions, l’ambiance Cirque d’Hiver… la rue du samedi soir, étroite et suintante de bière et de dégueulis. Le folklore outremeusien y est revenu en force… la bouquette et le pèket au comptoir du Théâtre Impérial, les restos BCBG ont définitivement détrôné le plat du jour à deux cents balles.
Les authentiques ont dégringolé dans la daube et la seringue sale. Les survivants du vers libre ont l’air tellement hagards place Cathédrale qu’on les confond avec les crades et les branques.
Les autres, les insubmersibles… gagnent des prix, par ci par là, Trio, l’Ile des poètes, Biennale, Province, Etat, le Grenier d’Ombret, concours arrangés, voués aux dyslexiques et aux perturbés de l’allitération, vacations d’enseignants, lauriers de notables.... Ces Rimbaudruches sont friqués naturels ou bossent dans des sinécures d’Etat, profs, employés d’administration, groom au PS, retraités à complémentaires et assurance vie, les fonds sous le matelas…
Le « must » s’est déplacé. Pierreuse rivalise en pittoresque. On s’y fait de belles jambes en gravissant le raidillon qui mène au Parnasse.
Dans la cave de la culture, les fesses de Juliette protégées par cette minuscule baptiste dont j’aurais voulu que mes paumes en fussent rivales, je voulais savoir si une nouvelle pléiade traverserait demain le ciel de la poésie liégeoise.

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Qu’avait-on fait de la culture populaire ? Comment Guevara mort depuis un bail avait été remplacé ? Sex pistols, The Clash, Generation X… Cendrars ou Izoard ?
Dans la cave traversée par de forts tuyaux d’égout, les « animateurs » étaient astucieusement répartis, dissimulés derrière des tubulures ou dans les premiers rangs, peignés à la bantoue et aux piercings d’une singularité étudiée. Ces permanents n’étaient pas là pour rigoler. On les sentait en service commandé. Fallait qu’ils se justifient… qu’ils alimentent les ASBL de produits cultes. Leurs troupes en hiérarchies distinctes, selon l’état de la jaquette, les entouraient avec une ferveur échangiste. On sentait que l’intimité n’était pas qu’une émotion aux Fleurs des mâles.
« Avant, ça se passait en plaisanteries de casseurs de pots bons vivants, avais-je dit à Juliette. Aujourd’hui tout est devenu plus con et plus sérieux… plus le moment de rigoler. Les animateurs le prendraient mal. Je les vois tout de suite à l’injure, à l’anathème. Une critique, et ils se sentent incompris… Sans doute les nerfs à fleur de peau, autre spécialité liégeoise. »
« Vraiment, mon cher, avait répliqué Juliette, on voit bien que vous ignorez l’importance qu’ils accordent aux maigres subsides de la Ville et de la Province, sans lesquels la moitié d’entre eux retournerait à l’usine ! »

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Oui. Juliette me vouvoyait en public, pour des raisons qui ne vous regardent pas.
Les spécialistes des Arts et Lettres ne délivrent leurs commentaires que sous la forme fleurie… l’infinie précaution. On voit ce que ça donne dans les rares rubriques liégeoises des Arts… Les tours de force pour dire qu’on n’a pas aimé… qu’on est parti à la deuxième strophe !
Cette afféterie se retrouve dans le commentaire écrit, dès que le chroniqueur aborde Cythère…
Les discours n’y connaissent l’extenso que tamponnés et en sixième page. Normal…
Seule liberté, la fumette. On était saisi d’entrée par une fumée âcre, persistante, j’ai cru qu’on sortait les joints des slips, tellement ça cognait. Juliette, plutôt familière sous des dehors d’exotique bourgeoise, m’avait dit les yeux rougis : « Ce sont des baguettes d’encens. Vous comprenez, j’ai vérifié. Je viens avec mes élèves aux après-midi poétiques, pour l’Alfred et l’Alphonse, les deux rigolos que Flaubert ne pouvait pas blairer »… Pas étonnant, Vigny et Lamartine… que ses filles se shootaient à Noir Désir avant que Bertrand Cantat ne descende un poids mouche à Vilnius.
Je n’avais jamais tant inhalé de la fumée bleue, la plus pénétrante, dans un aussi petit espace. Plaqué contre le mur, j’essuyais la chaux sur la manche de mon veston. Un illuminé d’une Saison en amphétamines était de l’autre côté de Juliette, si près qu’elle avait dû choisir, ou plaquer sa cuisse contre la mienne ou se sentir pénétrée par l’odeur sui generis d’un poète pétomane négligent.
J’aurais juré qu’aucun spectateur ne suivait « la nouvelle poésie d’Izoard à Savitzkaya ». A ma grande surprise, des animateurs posaient des questions tellement longues, qu’ils devaient être trotskistes. Pour le coup, ça plombait davantage.
Un permanent cramé par les fumées, dont la soutane avait déteint sur le visage, dominait le vacarme des questions à propos de Marcel Thiry. Juliette se piqua à cette remise en question du héraut principautaire. Je sentais sa cuisse parcourue d’un tic nerveux. Je mis la main sur le nylon de son bas noir pour la calmer.
Ah ! doux contact… merveilleuse manière d’échapper au contexte !
Nous n’étions pas les seuls.
Nous sommes restés à la fin de la séance un bon quart d’heure avec nos oeuvrettes à la main. Juliette son « Voyageur sans bagage », moi mes « Assauts… quand la pluie » jeux de mots malencontreux et tous les autres, les obscurs, les sans grade, les cordonniers de campagne, les arrivistes à donner des coups dans le marronnier, leurs papiers d’écolier sous le coude, l’air insatisfait et dubitatif, le sphincter découragé !
L’anonymat dans une réunion d’anonymes, c’est humiliant.
Je retirai la main des délices au bas noir, dès que les premières mobylettes remplacèrent les péroraisons et les dithyrambes.
Elle ne voulut pas reprendre son mouchoir de baptiste qui collait à la banquette. Je le mis dans ma poche en me promettant d’en respirer les effluves à mes moments d’égarement.
Nous continuâmes les débats dans la voiture, histoire de croire que nous n’avions pas perdu notre temps..
De biais, elle faisait hôtesse de l’air licenciée de la Sabena.
Je pris sa main.
Elle me lut pour le prix quelques poèmes.
J’hésitai à lui prendre le reste tant je redoutais une autre lecture…
L’air était doux. Le mari absent…
Cet homme, ce voyageur sans bagage, ce ne pouvait être que lui.
Encore aujourd’hui, je me demande si la symbolique du type sans bagage n’avait pas une connotation sexuelle… On peut être marié et sans valoche, n’est-il pas ?
Allez savoir quand on fréquente les poètes ?

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