Un gardien des mots aussi nécessaire quun gardien de square.
La belle bataille que voilà : étonnante, sans effusion de sang, ni dargent… une bataille pour intello…la bataille des dictionnaires !
Cest chaque année le flux à la rentrée des classes devant les piles étonnantes : le Larousse ou le Robert ?
- Si on offrait les deux volumes à lenfant ?
- Tas vu le prix ?
Lenfant : Merde, les vieux, déconnez pas ! Je préfère un jeu pour ma télé ? On en à rien à cirer dun dictionnaire. Lécole à son ordinateur qui corrige tout.
Maître Capello de Liège-Bressoux : Et voilà comme on devient bête.
Cest vrai que lorthographe fout le camp et que lon voit tous les jours des universitaires nous sortir tellement de bévues quune seule évidence simpose : certaines de nos futures forces vives savent à peine signer de leur nom les quittances dhonoraires.
Puisque nous sombrons dans lillettrisme international, que vous soyez Robert ou Larousse ou Logos ou Littré, la langue saffaiblit. Des mots dits obsolètes disparaissent. Dans la conversation et dans lécriture sabolissent les temps du subjonctif.
Quand on en sera à langlais exclusif, je me flingue !
Les références au dico pour certains jeux à la télé font quun mot de sept lettres qui vous aurait donné la victoire en 2002, vous vaut un zéro en 2003.
Quant aux fameux apports des cultures étrangères, parlons-en.
Si nous aimons aujourdhui le couscous ou les pâtes, si enfin nous sautons sur tous les hamburgers, si Windows nous farcit la tête danglais, en échange nous remplissons nos télévisions périphériques de « nique ta mère », sous prétexte que les déhanchements suggestifs et la réduction du langage aux gestes et aux borborygmes aident les éducateurs dans leur noble mission ; nous applaudissons à la confusion de la correspondance des temps dont nos premiers ministres successifs nous donnent le triste exemple ; enfin le vocabulaire sappauvrit comme larbre en automne perd ses feuilles ; nous admirons une gouaille de bar-tabac que nous confondons avec lesprit de répartie et la saillie pertinente ; nous navons plus davis faute de mots; nous ne faisons plus la différence entre la grossièreté et la vulgarité. (La distinction est pourtant facile : Rabelais est grossier et faire de « lesprit » au détriment des handicapés ou des banlieues, cest vulgaire.)
Balayées les richesses des ancien dictionnaires, il reste Bill Gates qui souligne en rouge « carotte » parce que nous avons oublié un « t » ; mais ne souligne pas « lavé » quand nous lécrivons avec une « S » dans « Nous nous sommes lavé les mains », par contre il nous suggère deffacer le deuxième « nous » qui, selon lui, fait doublon.
De tous les dictionnaires anciens, celui que je préfère cest le « La Châtre »
Drôle de type que ce La Châtre (1814-1900). Riche, il devient menuisier et saint-simonien. Il entreprend la rédaction dun Dictionnaire universel à la façon de lEncyclopédie de Diderot, et expose dan louvrage, ses théories sociale et politique.
Mal vu de Napoléon le Petit, il décampe à Barcelone pour éviter le bagne du Second Empire pour outrage à la morale publique et religieuse, comme Flaubert pour sa Bovary qui sut léviter grâce à la Princesse Mathilde (rien à voir avec lactuelle).
Mais, il na pas écrit que cela, il est aussi lauteur dune remarquable « Histoire des papes, crimes, meurtres, empoisonnements, parricides, adultères, incestes des pontifes romains depuis Saint-Pierre jusquà nos jours » introuvable en librairie et qui na pas beaucoup de chance dêtre réédité.
Influencé par Blanqui, Fourier, Proudhon et Saint-Simon (ne pas confondre avec le duc et pair), il est anti-royaliste et républicain et un des premiers communistes de conviction.
Voici sa définition (un court extrait) du mot « Pape » : Le pape réside à Rome, et, contrairement à ces paroles du Christ – Mon royaume nest pas de ce monde - il exerce à la fois un pouvoir temporel et un pouvoir spirituel ; opprime sans scrupule dautres hommes, en même temps quil prétend conduire et diriger les âmes.
Elle a dun zèle tout divin
Quitté le pape pour Calvin
…pourrait-on écrire.
A la même rubrique Littré écrit :
« …cest toujours le Saint-Esprit qui fait le pape. Dieu fait tout. Il est le maître de tout. .. » Les dictionnaires daujourdhui se contentent de nous rappeler que lévêque de Rome sappelle aussi souverain pontife, très saint-père ou sa sainteté.
Après les La Châtre-Littré, cest lhécatombe des mots dans les Robert-Larousse.
Exemple : graticuler, disparu du dictionnaire.
Entre « graticulation » et sa définition : « …graticuler un dessin, le diviser en carré par des traits réguliers, afin de pouvoir le reproduire en plus grand ou plus petit, sur un papier, une toile quon divise en carré plus grands, ou plus petits » qui sert à présent dexplication exclusive attendu que le mot a disparu du dictionnaire, je préfère mille fois le mot, quitte à passer pour pédant.
A une époque où le temps cest de largent, cest fou ce que notre appauvrissement en vocabulaire nous fait perdre des deux.