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3. A traîner sur des trottoirs qu’on connaît pas...


Un type arrête sa voiture et me fait signe.
Il tombait des cordes. « Encore quelqu’un qui cherche son chemin. Avec moi, il est mal venu dans cette cité de laquelle je ne connais que le Sacré Cœur ».
- Monte !
Il m’ouvre la porte. J’hésite pas. Un abri, quand on n’a pas de parapluie…
Le type me disait rien. Le très imposant satrape, complet gris foncé, la très fine rayure, cravate « Wimbledon », l’énorme bagouze à l’auriculaire haut du volant… De ces profils en forme d’étrave, puissant, décidé, vainqueur…
Je me disais « En voilà un que la réussite a pas gâté au physique. » Pourquoi moi, rue Saint-Denis, avec les ruisselantes en short l’hiver ? Je ferais Ganymède ?…
Je le remettais pas, pourtant vaguement je le voyais comme dans un vieux film… sans plus savoir le nom de l’acteur.
- Brontosaure !
Merde ! C’était ce sale con de la place du XX Août !
L’affreux Yéti que c’était à pisser sous les banquettes des auditoriums, toujours le feutre vengeur pour stigmatiser le foutre et la Faculté sur les portes des WC…le mec qu’avait l’air de jamais ouvrir un livre, qui se foutait de tout…
- Je suis dans un Cabinet, qu’il me répond à une question. Je suis économiste.
Il pouvait pas mieux… le job pour crétin effronté à satisfaire ses instincts fortement surréalistes.
Son ministre l’avait recruté sur base des cotisations en règle du parti… la routine, quoi !
Non. Je dirai pas des noms. Pourtant je pourrais, il y a prescription depuis belle…
Brontosaure était en « mission » rue Saint-Denis à mater les putes.
Je pouvais pas dire le contraire, j’y étais aussi… mais moi, c’était mon chemin pour couper direct vers la rue Monsieur Le Prince qu’était pas la porte à côté…
Il avait fait du chemin depuis chez Coca où il fourguait de la limonade en salopette verte.
Je suis pas d’un naturel à ruser. Je suis naturellement porté à la simplicité. Lui aussi, apparemment satisfait de son job… Enfin un économiste qui l’ouvrait, un officiel qui cause.
Brontosaure qui savait que je savais ne s’en priva pas.
« Je suis venu voir des collègues. Il faut éviter la formidable débâcle des cloches, anémiques 100 %, chlorotiques à bout. Je suis chargé de rendre l’espoir… Ordre du ministre.
A toi, je te raconterai pas des craques. Ici, ils sont déçus. Moi, je savais. Eux s’aperçoivent. »
On a été jusqu’à son hôtel, le vraiment bien confortable, sur la note pour le ministère. Pour ça, économiste de premier plan, il notait tout. Je l’ai même vu rafler un ticket abandonné sur une table voisine.
Sa conférence-symposium, l’endroit sérieux… Sorbonne… plein Saint-germain…
« Ils ne m’ont rien proposé, les tantes. C’était d’un pathétique. Au fond, nous, on n’est que des petits bricoleurs. On doit raconter des histoires comme celles de La Fontaine, tu vois ”Le laboureur et ses enfants”… prenez de la peine ! Le thème que mon ministre sûrement va beaucoup aimer… la supériorité de la concurrence et de la force du travail conjuguées. »
Des histoires du café du commerce, en quelque sorte…
« L’économie est une science imaginaire qui s’arrête aux très gros portefeuilles. Après les cracks boursiers, 29, 36, le plan Marshall, 68, nous on explique toujours après pourquoi le petit actionnaire s’est fait pigeonner. Ils sont très forts à Bruxelles pour ça. On ne vient qu’en renfort de la forte affirmation, quand la FEB a découragé tout le monde, même les syndicats, que le patron des patrons sent qu’il va en avoir sur la gueule. Alors, on arrive modeste et pathétique. Haut les cœurs. La Patrie est en danger. On n’a pas besoin de canons, mais seulement de retrousser les manches et bosser plus ; que ça se sente qu’on a perdu de la force de travail à cause de ceux qu’on a dû virer !... Certes, vieux, un discours pareil, c’est pas facile. Remarque quand ça craint, c’est toujours un ministre de gauche qui convient le mieux. »

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L’heure était à la détente, Brontosaure n’avait pas sommeil. Secrètement, il m’en voulait de l’avoir contrarié dans sa quête d’une âme sœur pour la nuit. Si, il avait su que je ne le remettais pas… Puisqu’il me tenait, Talleyrand vidait son sac.
« C’est le moins, les hommes ne sont pas raisonnables. C’est à tous les échelons pareils. Mieux, c’est pire au sommet. «
On n’avait pas encore inventé le joyeux terme « les force vives ». Son sommet, c’était déjà cet emblématique quarteron qui s’était révélé champion du coup de coude pour être placé à la photo de famille.
Il s’est enfoncé dans le décrit des artistes du temps, Hayek, Edmond Malinvaud, qui se sont fourvoyés dans l’économie mathématicienne, comme si un boulier arrange une science qui n’en est pas une et qui serait bien en peine d’avoir ses logarithmes, comme Hicks qui l’a regretté ensuite.
Puis on a ri des méthodes qu’on apprend à l’Université à travers les enseignements des économistes et des remèdes proposés par les grands du métier pour faire repartir l’économie.
Je me suis souvenu du général Hoche « Si le remède n’emporte point le mal, il emporte au moins le malade. »
On a fini la soirée sur la loi de l’offre et de la demande, cette énorme blague racontée aux enfants pour faire peur. Il a cité Guerrien et Laurent Cordonnier. On a pataugé un peu, mêlé les genres.
On ne s’est mis d’accord que sur une chose : on aurait mieux fait d’aller aux putes.
Pour une fois les économistes étaient du même avis.

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