Montherlant sur la commode
La Reine morte de Montherlant.
Dans un atelier de peintre, on prépare activement lévénement.
LInfante : Les princes mettent des lions sur leurs armoiries, sur leurs oriflammes… Et puis un jour ils en trouvent dans leur cœur. Vous avez vu son visage vert ?
Césare Concini : Qué vissage verte ? On dirait què tou fais oune poub per oune dentifrice à la chlorophylle…
Inès : Cest que jai parfois besoin de laisser reposer mes cheveux. Alors pendant une journée, je me coiffe en chignon. Seulement, cela donne un pli…
Césare Concini : Miserabelo Montherlanto, cest oune texte impossibilé ! Comment y veut lidiote dautor quune star qui passe tous les jours dos hores chè coiffeûze pouisse dire céla !
LInfante : Vos cheveux sont très bien, je vous assure ; ne vous en tourmentez plus.
Césare Concini : Stop. Jé déteste Montherlanto… et lInfante et Inès… littératouré dès papillottes… frizoure dè pulcinella… gougousse…
Inès : Gugusse tu veux dire… parle pour toi…
Césare Concini : Ziré jusko boud… ô boud…
(Il sarrache les cheveux)
Quinze jours plus tard.
Hercule Savinien, journaliste : La foule des grands soirs pour la première de « La reine morte » de Montherlant. Jeanne Moreau dans les premiers rangs a essuyé quelques larmes. Les petites troupes de province, en loccurrence ici, celle de Liège ont des acteurs formidables et plein de talent. On ne peut que saluer la performance de Madeleine Bovy, soixante quinze ans et arrière petite fille de celle qui fut une des reines de la Comédie française. Cette prestation était dautant plus impressionnante quelle interprétait le rôle de lInfante qui a dix-sept ans dans la pièce. Une nouvelle Sarah Bernard nous est née !
Le rôle dInès de Castro était tenu par la ravissante Maud du Bouhay dont la plastique a bouleversé les premiers rangs.
On devine le bonheur du metteur en scène davoir à conduire de pareilles interprètes.
Laudace du décor nous a surpris et enchanté. La toile « un cul sur une commode » du peintre parisien Antoine Antoine a été la petite touche de fantaisie quil fallait pour alléger ce sombre drame. Décidément, ce théâtre doutre Quiévrain peut rivaliser avec les meilleures scènes parisiennes.
Hercule Savinien, journaliste à lEclair-Théâtre.
- Tas fini ton papier Hercule ?
- Ouais.
- Cest dommage. En dernière minute, la deuxième représentation prévue est annulée. Les ayants droits ont porté plainte. La brigade des mœurs dAvignon a saisi le tableau dAntoine Antoine. Césare Concini est introuvable. Jeanne Moreau a dit que cétait nul à chier. Quant à Maud du Bouhay, un spectateur la reconnue. Elle lui aurait volé son portefeuille dans la chambre dhôtel où elle lavait entraîné !
- Tas rien sur Madeleine Bovy ?
- « Les Heures bleues », une maison de retraite de Beaufays a signalé à la police la disparition dune pensionnaire qui correspond au signalement de la nouvelle Sarah Bernard !
- Ah ! je les hais ces Belges… ça doit pas être facile dêtre journaliste à Liège…