Le Fou en téléfilm !
A propos de la diffusion du téléfilm « Adolf Hitler » du réalisateur Christian Dugay sur TF1 le mercredi 28 janvier, plusieurs remarques simposent.
Ce téléfilm a été programmé il y a de cela quelques semaines sur ARTE et on nen a pas fait le battage médiatique à lépoque comme sur la Une. Comme quoi, le téléspectateur se rameute toujours à coups deffets de manche et dannonces.
Les coupures qui ont été faites selon les responsables de la chaîne nont porté que sur la vie privée du chancelier. Dans un sens, cest heureux quand on voit la manière dont on a traité les séquences qui restent.
Cest le handicap des fresques historiques à thèse de montrer un homme qui, moins il nous paraît humain, conforte lopinion que lon se fait dun monstre.
La vérité est bien plus terrible.
Oui, les « monstres » pourraient vivre parmi nous sans quon les reconnaisse. Le hasard les précipite dans des événements au cours desquels ils sont à la fois victimes et acteurs de leur paranoïa.
Avant laffaire Dutroux, vous auriez pu prendre un verre avec lui à la terrasse dun café sans avoir conscience dêtre devant un criminel de la pire espèce !
Acteurs et spectateurs deux-mêmes, ces pervers profonds noffrent aucune apparence extérieure dun dérèglement mental.
Mais voilà, pour des faits historiques aussi horribles, on ne peut imaginer un Adolf Hitler autrement quhystérique et psychopathe, de manière à ce que cette grave anomalie se voie sur toute sa personne.
Une marionnette sanglante naurait pas réussi à fasciner si longtemps les milieux intellectuels munichois qui ont permis son ascension.
Néfaste a été lentourage dun tel personnage. Des hommes comme Goering, Goebbels, Himmler, Hess, eux, nont pas pu être abusé comme la foule. Ils savaient. Ils ont joué avec la paranoïa du « fou ». Ils sont de lespèce la plus nuisible qui soit, celle de gens sans scrupule, rongés par lambition et la soif dargent.
Il ny a aucun document, ni aucune relation sur la vie sentimentale du führer - limitée à deux ou trois femmes - vie simple en quelque sorte, commune à beaucoup de gens. On fait jouer à lacteur Robert Carlyle un personnage chargé de frustrations quaggrave une pulsion sexuelle contrariée de la peur du passage à lacte. Le délire de la primauté de la race germanique est doublé ici de lobsession sadique. Quelques répliques qui échappent au personnage de la nièce linduit. A vouloir trop prouver, on exagère le trait et lensemble devient de moins en moins crédible. On fait alors « du monstre » une image dEpinal qui risque de peser sur le futur.
Adolf Hitler est un produit dune société déchirée et humiliée par la perte de la guerre 14-18, qui pense avoir trouvé la source de son échec dans le socialisme et les juifs. On voit encore aujourdhui sans autre référent que leur conviction, des groupuscules de droite épouser les thèses dAdolf Hitler sans pour autant faire état du modèle.
La question quil faut se poser, cest comment en partant de songes aussi creux que la prédominance dune race sur une autre, sur la capacité guerrière à régler tous les problèmes de civilisation, la propagande de Goebbels soit parvenue à abuser la Nation allemande pendant dix ans, passant de la république de Weimar, à la dictature du troisième Reich !
On sétonne encore aujourdhui, daccoler au mot « racisme » lantisémitisme, dans les lois découlant des interdits de haine raciale, comme si lantisémitisme était un crime à part ou différent du racisme ordinaire !
Lantisémitisme est avant tout lié à la religion catholique. Les persécutions ont une longue histoire.
Ce nest quaprès la connaissance des crimes du Reich que cette lutte sest transformée en un conflit discret, jusquà la renonciation publique de Jean-Paul II.
Que le National-socialisme dAdolf ait repris à son compte les préjugés raciaux de lEglise est évident.
Il y a plus dun demi siècle que les faits se sont déroulés. Leffort des survivants, de la diaspora et des sympathisants actifs et nombreux pour perpétuer le souvenir de lholocauste, de cette boucherie sans nom, impose le respect.
Mais, il ny a rien qui sefface plus vite que le passé honteux dans la mémoire des peuples.
Le passage de Napoléon sur les champs de bataille dEurope, les millions de morts de 14-18, le massacre des Arméniens, des Kurdes, des Khmers, des Tutsis… ne sont déjà plus que les avatars dun grand guignol sanglant en perpétuelle quête de victimes. Malgré nos grands airs égalitaires et nos déclarations des droits de lhomme, nos lois contre le racisme, les démocraties sont fragiles de ce point de vue…
Le défaut du téléfilm est davoir voulu refaire un « Charlot dictateur » sans lironie. Le portrait charge exige dautres talents. Tout le monde nest pas Charlie Chaplin. Faire rire en plein drame nest pas donné à tout le monde.
Limage qui nous reste de ce dictateur mégalomane, de ce fou, est inquiétante, certes, mais on a le sentiment quen même temps elle est irréelle, voire fausse, doù un certain malaise…
Lorsque la majorité bourgeoise se sent menacée par une sédition qui attente à son confort et à son mode de vie, les minorités sociales ou ethniques ont tout à craindre. Méfions-nous des hommes providentiels qui ont des remèdes radicaux dans leur poche.
Adolf Hitler est un monstre parce que le nazisme a pu sappuyer sur un consensus national. Sans un concours de circonstances, il serait resté un peintre médiocre, voire un petit fonctionnaire monnayant sa croix de fer contre un bureau avec des tampons et des petits papiers dune petite ville autrichienne.