Les rencontres du FOREM. Aujourdhui Pansalouf-Compère.
Monsieur Pansalouf-Compère compte parmi les personnalités liégeoises les plus en vues pour avoir en une dizaine dannées fait une fortune dans les… enfin, il vous lexplique lui-même.
- Mesdames, messieurs les demandeurs demploi, jétais à la recherche de mon premier employeur à lâge assez avancé de trente-deux ans. Jusque là, javais vécu dans le village de X chez mon père. A vrai dire, je ny manquais de rien. Mon père nétait pas pressé de me voir quitter le domicile familial. De ma chambre, javais une vue magnifique sur trente hectares de forêt et, à cent mètres à peine, un plan deau sur lequel flottait avec les économies de mes dimanches, un offshore de 12 mètres.
Je partais souvent sur Belle-de-mai, enfin une de ses descendantes, parcourir la campagne, sans but précis. Je ne comprenais pas, pourquoi les paysans que je croisais me disaient bonjour, en soulevant leurs casquettes.
Quavais-je fait pour mériter leur estime ?
Je vivais simplement, ne mettant mon habit que le soir au dîner, pour faire plaisir à ma mère et aux invités. Les invités étaient au nombre invariable de vingt, ce qui avec mes parents, ma sœur et moi, faisaient vingt-quatre couverts, juste ce quil fallait pour que la salle à manger me parût exiguë.
Le reste du temps je flânais, de-ci, de-là, sans but précis. Javais depuis longtemps cessé les jeux de ladolescence. Je nincendiais plus les meules de foin des fermiers des environs, des hommes charmants qui ne se plaignaient jamais de mes mauvaises farces. Je ne saccageais plus les potagers à la poursuite dun sanglier hypothétique. Jétais devenu un jeune homme tourmenté et inquiet de son devenir
Je ne savais rien faire. Je navais jamais lu et navais aucun goût pour rien.
Je me mis à boire et eus de mauvaises fréquentations.
Jusquau jour où je rencontrai une jeune femme sur le bord du chemin et qui me plût tout de suite.
Nous prîmes lhabitude de partir dans de longues promenades dans la forêt.
Elle me disait craindre les gardes-chasse du propriétaire, un certain Pansalouf. Je nosai pas lui dire quils avaient pour mission de battre les fourrés avant et après nous, à seule fin de sassurer quil ny eût aucun danger.
Nous fîmes des projets dunion. Je lui cachai la première partie de mon nom et lui dit mappeler Compère.
Elle me présenta à son père, un instituteur à la retraite qui plantait ses choux dans 20 mètres carré de jardin.
Je me souviens que ce jour-là nous mangeâmes tout le repas avec les mêmes couverts. Je faillis vomir.
Il me demanda mes intentions. Je les lui dis. Il parut inquiet que je neusse aucun travail. Je promis den chercher un.
Je me fis embaucher sur un chantier de construction. Je devins la risée des ouvriers quand ils me virent planter un clou de façon si maladroite quil fallut menvoyer à linfirmerie. Jy restai deux jours. Le troisième, on me paya la semaine pour ne plus me voir.
Quelques jours plus tard, nous étions à la salle de billard, lorsque je dis à mon père que je voulais travailler, mais sans quil me mette le pied à létrier. Je souhaitais simplement quil me donne quelques adresses. Ce quil fit de bonnes grâces.
Dans ma chambre, jétudiai la liste et je supprimai ce qui me parut suspect : Les ciments Saint-Préavis, les Moulins Compère et même les Aciéries Brandor, car mon père en parlait avec tant denthousiasme depuis quune succursale existait dans le Sertão, que je me méfiais du directeur du siège social, qui devait connaître les Pansalouf-Compère.
Cest ici, mesdames et messieurs les demandeurs demploi, que mon parcours peut tenir lieu dexemple. Je choisis la banque X. Elle paraissait fort éloignée des Pansalouf. Je my présentai sous le nom de Compère. Tout de suite, le directeur général me reçut avec une grande amabilité. Je sortis de son bureau avec un contrat demploi signé sans quil me demande à voir des diplômes que jaurais bien été incapable de montrer.
Le lendemain, au guichet, les autres employés voulurent à tout prix mexpliquer mon travail, que, du reste, je neus vraiment pas le temps dexercer. Car, laprès-midi, je fus appelé à la direction. Le directeur, Monsieur Cimaise, me fit asseoir à son bureau pour vanter mes qualités dorganisateur et me dire que tout le monde était enchanté de mon travail. Il moffrit dès laprès-midi une place de sous-directeur. Trois jours plus tard, je remplaçai Monsieur Cimaise, admis soudain à la retraite, à lâge de 42 ans ! A peine deux mois écoulés, je fus appelé au Siège principal, afin de renforcer le Conseil dAdministration..
Entre-temps, je métais marié avec la fille de linstituteur à laquelle javouai que si je métais fait tout seul, quoique étant un Pansalouf, cétait pour lui montrer que tout homme parti de rien, peut arriver à tout grâce à sa volonté et son courage.
Mon père fut agréablement surpris de me voir si bien introduit partout sans son aide.
- Mon fils, me dit-il un jour, tu tes fait tout seul. Je suis fier de toi.
Depuis, sans que je les aie sollicités, je reçois des honneurs de partout. Jai même des décorations qui marrivent des pays lointains, comme si ma bonne réputation franchissait les océans sur la réputation de mon travail.
Il nest pas impossible que ce soit moi qui donne le coup de pistolet au départ du tour de France à Liège. Le théâtre Ar. va faire un montage de mes pensées. Des Liégeois de qualité ont convaincu un grand éditeur de publier des poèmes que javais écrits enfant. Enfin, un parti du centre ma sollicité pour les élections européennes. Je nai pas dit non. Jai beaucoup à donner à mes concitoyens.
Il est question à la Cour de me faire Comte.
Si jai accepté de vous raconter mon histoire, cest pour vous rappeler que loisiveté peut être source de réflexion jusquà un certain âge. Mais quil faut ensuite passer à laction.
Ma chance, cest davoir rencontré des gens remarquables qui ont tout de suite vu ce quil y avait de meilleur en moi. Je dois aussi ma réussite à mon épouse qui ma fait confiance et qui a supporté de vivre les premières années de notre mariage sans chauffeur, ni femme de chambre.