« Messieurs... la Cour ! | Accueil | Copier/Coller interdit. »

L’Etat ou l’art de se foutre du Citoyen.


Dans leurs discours les hommes politiques aiment les citoyens. Cet amour est variable. Cela va de l’infini, à une piètre estime.
Certes, l’électeur est sacré et le suffrage universel est le sommet de leurs relations amoureuses.
Ils répètent à l’envi ce qu’un vieux crooner comme Hallyday clame devant
les micros : « Je dois tout au public ! ».
C’est aussi le discours de Guy Coeme qui sera réintégré dans le team du PS, à peine sorti de son purgatoire.
Ils poursuivent généralement : « Le public me soutient depuis longtemps et je l’en remercie ».
Nos élus pensent-ils un seul mot de ce qu’ils disent ?
L’équilibre affectif entre eux et nous est fragile et l’amour pas si profond que cela.
L’alchimie du mot « rue » accolé au mot « citoyen » a particulièrement un effet désastreux sur leurs sentiments. Sitôt dans la cornue, le subtil mélange devient dangereux, explosif… De la gauche à la droite les sourires se figent. Pourtant les électeurs ne sont-ils pas pour la plupart de la « rue » ?
Alors, après l’extase, les bouches se tordent. Le sourire devient rictus et exprime une inquiétude.
Il y a un morceau d’anthologie dans les anciennes actualités de 60-61, lorsque Gaston Eyskens parle de « la rue » suite à la réaction de celle-ci à sa Loi unique. Son visage se tord, la haine et le dégoût s’y marquent. C’est Lionel Barrymore dans « Capitaines courageux ».

la rue.JPG

Dans des réunions de « la dernière chance », quand les mesures que l’on va prendre au nom du suffrage universel sont universellement combattues, la salive blanchissant leurs lèvres, nous voyons nos modernes sorciers éructer… anathématiser. Ils ne céderont pas à la pression de la rue. La politique ne s’y fait pas et que ce n’est pas là qu’on dirige un pays.
La rue facteur de trouble et de désolation, qu’est-ce ?
Les manifestations à caractère populaire, les rassemblements ouvriers, les regroupements de mécontents, cela devrait plaire, au moins à la gauche, non ?
Pourtant, c’est un des rares moments oů la gauche et la droite semblent d’accord. La haine de la rue les réunit !
Cette grogne de la Belgique d’en bas, abominée par nos grands amoureux de la démocratie, n’est pas toujours visible. Parfois une rumeur de fond, une fronde qui ne s’est pas encore infiltrée dans la conscience populaire couve quelque part sur les pavés, dans les impasses, dans les ensembles type Le Corbusier.
Ce qu’on reproche alors à l’opposition diffuse et hors contrôle, c’est justement son côté populaire, son gauchisme irresponsable... Comme si chez nos élus l’opprobre recouvrait l’ensemble des dérivés honteux du mot : populace, populacier, populiste et parfois le mot de base lui-même : « peuple », lorsqu’il est dit de façon particulière à des réunions oů justement il n’est pas convié.
Chose curieuse, le dégoût pour la rue a des limites. C’est lorsque de « la rue » sourd une lame de fond capable de renverser le pouvoir… quand l’émeute frise la révolution !
Alors fleurit un nouveau langage. C’est le fameux « Je vous ai compris. » traduit dans toutes les langues, par tous les diplomates.
Cette ouverture est une ruse. Car, le « Je vous ai compris » signifie avant tout que le Pouvoir a saisi le sens du mécontentement et qu’il réfléchit à la parade.
D’abord, dans un premier temps, les politiques adhérent au mouvement. L’espoir renaît.
C’est lorsqu’elle croit triompher que la contestation populaire est la plus fragile.
Le Pouvoir attend qu’il pleuve, que les volontés s’émoussent que les foules ne s’autogérent plus.
L’exemple le plus récent, c’est la Marche Blanche. 300.000 personnes dehors ! Du jamais vu. Du coup la rue devient le prolongement naturel du Parlement. C’est le Peuple sacré qui dicte sa loi. Dehaene alors premier ministre reçoit les parents des victimes. Le Parlement met en place une commission. On annonce des réformes.
Certaines verront le jour comme la réforme des polices, avec le peu de résultat que l’on sait.
On attend toujours celui de la justice.
Comme ce phénomène unique de rassembler 300.000 personnes ne saurait se renouveler, tant il y faut des circonstances exceptionnelles, le Pouvoir mise sur la lassitude rapide.
Et c’est bien vu. Les manifestants s’impatientent, ne voient pas de changement immédiat, se découragent et abandonnent.
Entre-temps, les Personnalités visées auront infléchi leurs discours. Ils ne parleront des meneurs qui n’existent que dans leur imagination, que si des noyaux durs de contestataires persistent.
Pour la marche blanche, les meneurs sont inoffensifs. Ce sont ceux qui croient au réseau Dutroux et qui pensent qu’une bonne instruction est à charge et à décharge et non pas la défense d’une thèse, comme l’a fait Langlois.
Aujourd’hui les Marches blanches se résument à des lâchers de ballons. Le pouvoir les a récupérées. Les enseignants trouvent pédagogique de les organiser dans les cours d’école. Tout baigne…
Alors que rien ou presque n’a changé !
Transformer une critique venant de « la base » en une leçon qu’ils donnent aux autres, les gens de pouvoir n’ont jamais fait que cela.
Les politiciens réagissent comme la justice, quand celle-ci se sent menacée par ceux qui la contestent. Un Dutroux, par exemple, n’est pas un subversif, donc il n’est pas dangereux. Au contraire, il renforce le sentiment que la justice est dans son rôle et sera exemplaire : « Qu’elle doit passer et qu’elle passera ! ».
Ce qu’elle craint, la Justice, ce sont les gens qui sont convaincus qu’elle est laxiste, voire corrompue, en tous les cas inefficace et au service des puissants, donc injuste. Ceux-là écoperont à tout coup du maximum, s’il leur arrive la moindre peccadille.
Après l’orage, il suffit au Pouvoir de reprendre le discours sur le désintérêt des foules, de « réprimander » les mauvais électeurs, de dire la chance qu’on a d’être dans une démocratie.
Ils font très bien cela à la télévision. Leur show est rôdé.
Dès que le pouvoir n’a plus peur de la rue, tout se remet à ronronner. La rue se rendort. Elle est oublieuse, bon enfant. Les bourgeois s’attendrissent sur une douceur de vie retrouvée. Plus personne ne croit aux changements brutaux. D’ailleurs la brutalité vient d’ailleurs… la crainte du terrorisme… des attentats.
A part ça… tout le monde est content.
Il ne manque plus que la cerise sur le gâteau : « Wallon et Flamand sont des prénoms, mon blase c’est la Belgique ».
Là-dessus une bonne trappiste et un fromage d’abbaye… merde, ce qu’on est bien !

Poster un commentaire