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Merci de m’avoir abandonné...

Bizarrerie des jours. Le correspondant qui vous envoyait courriel après courriel sur l’air du temps, les événements aux antipodes, sollicitait votre avis sur des écrivains du passé et aussitôt que vous vous étiez fendu d’une réponse fortement documentée, n’en finissait plus de vous appeler « cher maître », ce type qui n’aurait pas survécu un jour sans vous, qui découvrait son âme dans de longues lettres, alors que vous ne lui aviez strictement rien demandé, voilà que vous n’en recevez plus rien.
Alors qu’à force d’avoir lu ses flagorneries, vous commenciez par le prendre au sérieux, au point que vous sentiez naître de vous-même, une opinion flatteuse…
Vous vous disiez : « La mort était la seule chose qui pût vous séparer. Il doit reposer roide au fond d’un trou. » Et vous n’en êtes pas autrement ému, car, quand on se porte comme un chêne, que vaut la mort des autres ?
Vous n’y penseriez plus, si vous ne le voyiez attablé à la terrasse d’un café à boire une bière !
Vous redevenez instantanément humble et vous faites un écart pour ne pas le saluer.
………
Ce sont ceux qui ne s’élèvent pas trop qui se font le plus mal en retombant. Plus le mérite est mince, moins il amortit. C’est normal.
On retombe sur le cul et on a honte de s’être fait charrier.
Ah ! les bonimenteurs ont de l’avenir. Plus c’est gros mieux ça prend. Jusqu’à vous faire croire que vous êtes l’incarnation de ce que vous n’avez jamais cru être et qu’un sycophante habile vous a convaincu que vous étiez.
Nous en sommes tous là : la vedette qui signe des autographes à la sortie du Forum et qui fait son choix parmi la dizaine de minettes à la mouillette pour finir sa nuit, a besoin avant tout d’entendre qu’il est formidable. Ce dont on ne le persuadera jamais assez.
L’artiste est fragile tout en se croyant invulnérable. Il est persuadé qu’aucune admiratrice ne peut lui résister. Et il finit par « forcer » une aussi paumée que lui dans les toilettes d’un restaurant ou sur le pont d’un bateau à Cannes.
Il se persuade – parce qu’on l’a persuadé – qu’il est un nouveau Rimbaud pour avoir déconné sur une estrade des hauteurs de Flémalle. Depuis, il pourrit la vie de tout le monde avec des rimes de mirliton, ses sautes d’humeur et des hymnes larmoyants à sa famille…

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Sauf que l’artiste qui sort du Forum se fait du blé sur son soi-disant génie, ce qui le blinde contre la déprime qui devrait doublement l’atteindre à bien considérer le foin qu’on fait pour son filet de voix et une ou deux répliques d’un film d’auteur.
Que des victimes de la gloire… que des déçus… surtout les gloires éphémères… footballeur, ténor réfugié en Patagonie pour cause de feuille d’impôt, imitateur reconverti en Monsieur Loyal, femme-artiste, veuve célèbre d’un mort qui l’était encore plus, fille de star,
auteur-compositeur de bleuettes sacralisé par le disque d’or, sans compter les cadors des étranges lucarnes… Ce qui est dur, c’est qu’il faut vioquir sans le montrer. Les gueules qui s’allongent, les nichons qu’on bourre de silicone, les blairs qui finissent par dénoncer des origines qu’on avait oubliées et qui vous pètent à la face au tournant des quarante-cinquante.
Alors, tout compte fait, mon inconstant admirateur a bien fait de vaquer à d’autres enthousiasmes. Sa faculté d’oubli a enrichi ma nature. Elle en avait besoin. Merci.

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