Une affaire florissante.
Cré vingt dieux ! loncle avait raison ; « le monde appartient à ceux dont les ouvriers se lèvent tôt ». Hélas ! comme jétais le seul dans ma petite entreprise, cétait pas suffisant de me lever tôt tout seul. Jai pris un ouvrier pour quà deux, il y en ait au moins un, moi, à qui le monde appartiendrait. Comme il fallait rétribuer mon ouvrier, je lui ai donné un salaire qui était la moitié du mien. Cest en gagnant donc la même chose que lui, que je me suis rendu compte combien était dure la condition ouvrière.
Cétait atroce. On vivait tous les deux dans la misère. Jétais moins malheureux que lui puisque je travaillais à mon compte et lui au mien. « Caleçon qui grattent, morpions qui squattent comme on dit. ». On se passait nos animaux de compagnie, car nous en étions arriver à partager nos vêtements.
Javais pris lhabitude de rassembler mon personnel au café den face. Le patron me faisait crédit. Entre patrons, on se faisaient confiance. Par contre, il suspectait mon ouvrier de ne jamais rembourser son ardoise. Cétait moi, sur mon maigre salaire qui payais pour lui. Pas bête, je retenais les additions sur sa feuille de paie. Si bien quà la fin, je ne le payais pratiquement plus.
On parla de faillite. Cela se sut. Je bus pour oublier. Ceux qui boivent pour oublier sont priés de payer davance. Cest bien connu. Je changeai de bistrot.
Le nouveau patron avait trois poils au menton et lair dun poulet tombé dans un saut de poils. La patronne nétait pas terrible, mais en comparaison cétait miss France. Mon ouvrier devint son amant. Aussitôt, il me donna son congé. La patronne lavait débauché !
Cest ainsi que par solidarité, il partagea nos morpions avec le mari.
La grande famille dinsectes que nous élevions par devers nous ne voulut-elle pas se séparer ? Toujours est-il quaprès avoir partagé leurs deux salaires avec mon ouvrier qui ne létait plus, ils voulurent à toute force men donner un quart, puisque nous étions quatre. Cest ainsi que je retrouvai la moitié du salaire que javais lorsque jétais patron.
Tout à un bout, sauf le saucisson qui en a deux.
Quand le pinson siffle en mai, cest quavril est fini.
Deux ouvriers et une ouvrière qui bossent pour un patron, cela aurait marché. Mais trois ouvriers qui bossent pour une patronne, ce nest pas la même chose. On ne sait pas pourquoi, cest un mystère.
Par chance, après la faillite, mon ancien bistrotier nous a engagé tous les quatre.
A cinq cela commence à faire une entreprise moyenne.
A partir de vingt-cinq, nous aurons des subsides de la Région wallonne.
A condition de bien gérer le comptoir, nous espérons atteindre ce minimum à la fin de lannée. Nous buvons tous beaucoup car si un verre, ça va, à la fin de la journée dix fois plus, ça va dix fois mieux.
Certes, à lheure supp, il arrive dêtre schlasse, mais il vaut mieux être saoul que con, ça dure moins longtemps. Sauf que dans cette alternative, les trois salaires divisés par cinq, ça fait pas un compte rond. Faut transvaser, on nest pas certain, ça fait désordre. On a la mémoire qui se brouille…
Lennui dans un troquet, personne se lève tôt. Alors, je ne sais pas si le patron deviendra jamais riche.
Lessentiel nest pas de senrichir, mais dentreprendre.
Mon ancien garçon a tellement bien entrepris que – comme dirait lautre – « Quéquette en décembre, layette en septembre. »
Ce qui fait que sans chercher à sagrandir, on sera six sur le coup à la foire doctobre.
Et trois divisés par six, cest plus facile.