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Inter faeces et urinam nescimur...

« Naître entre la pisse et la merde. »

On ne peut pas dire que nous ayons été gâté en littérature au siècle dernier.
Après les débuts prometteurs du roman au 18me, suivis du foisonnant 19me, voici l’ergotant et suffisant 20me.
Loin derrière le souffle Célinien, ce grandiose collabo qui sauve l’honneur du siècle, quelques éclairs, bribes, fulgurances subsistent dans un domaine oů les marchands de papier, sous prétexte d’édition, apprivoisent à la médiocrité les prétendants à la postérité.
Quelques pages de Proust, une ou deux de Rémy de Gourmont, dix lignes de « Si le grain ne meurt » de Sa Sphincter le pape… rien de Romain Roland, les séries de Duhamel pour leur belle reliure, un peu de « Teste » de Valéry là oů la bêtise n’est pas son fort, quelques pages de « La chronique maritale » de Marcel Jouhandeau… Le reste est plutôt pathétique : l’immense platitude de d’Ormesson, la lourdeur d’Aragon dès qu’il quitte sa poésie et l’ennui que dégage Sartre, sans sa philosophie, reste France, pour les classes de 6me… c’est à peu près tout, si l’on excepte ceux que je n’ai pas lus et sous réserve d’inventaire.
Vaticinations d’éditeurs dès 1920 à la « réclame », défaites des Marguerite, Bataille, Louys, Rachilde et autres cavernicoles des Nuits parisiennes et des couloirs du Mercure de France, pour finir au pinacle de l’insignifiance avec Paul-Loup, les bavardages de concierge d’Hadrien de Yourcenar, la clique des Bobin à la laisse chez Gallimard, les monuments surfaits de Sarraute, avant de finir dans les chiottes du dernier Houellebecq.
Ecoeuré par tant de flagorneries éditoriales, enculades d’esthètes, « Loti…ssement » de l’art bourgeois, héroďsme pseudo réaliste des Barbusse, Genevoix, écrivains pour « mettre » la Grosse Bertha, fielleuses collaborations des Farrère et Daudet (Léon fils d’Alphonse), on change de rayon de bibliothèque, avec le regret d’avoir omis Giono, parce que son Hussard rappelle Stendhal, ainsi que quelques autres qui méritaient de ma part moins de désinvolture.

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On traverse l’Atlantique, croyant trouver l’Eldorado. On repart sous les courbettes et les coups d’encensoir aux gloires rapportées. On a peine à lire une ligne en 2004 de Sinclair Lewis, Dos Passos, Hemingway, Faulkner – si l’on met « Sanctuaire » à part. Même le faunesque Bukowski (n’est pas Genêt qui veut) nous renverrait au bric-à-brac de la FNAC, si ce siècle n’avait été sauvé, là aussi, par les Tropiques du célinien Henry Miller, seul Blanc parmi des auteurs blacks de qualité dont les médias taisent les noms par pur racisme et lutte des classes.
Avec le recul, que de critiques sociales et dénonciations du rêve américain ramenées aux justes proportions, mais suffisantes pour que nos baveux se branlent sur « l’incontestable liberté et l’incroyable foisonnement » qui valent encore aujourd’hui aux States une réputation flatteuse dans notre bourgeoisie « d’avant-garde » franc-mac et socialiste. Toute une galerie qu’on apprend à vénérer par ouď-dire, plus parce qu’il faut vendre les encyclopédies de chez Larousse et parce que la critique est, de tous les genres, celui qui se renouvelle le moins..

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Le Noir ne se distingue pas par la couleur de sa peau mais par le fait que les Blancs ne le voient pas. Ralph Ellison, James Baldwin et quelques femmes : Alice Walker, Toni Morrisson. ouvrent un genre littéraire d’une cruelle réalité, certifié authentique, auprès duquel les oeuvrettes blanches de l’entre-deux guerres ont la valeur du couple, si admiré encore aujourd’hui par les Bobos de la Place des Vosges : Francis Scott et Zelda Fitzgerald en vadrouille friquée sur la Côte d’Azur et en panne d’émotion.
Parmi quelques diamants bruts, voici l’étonnant Iceberg Slim, ancien maquereau à la logique duquel on ne résiste pas : « L’énergie et le talent exigé pour devenir un délinquant de réelle envergure pourraient être utilisés de manière bien plus positive. Si un maquereau parvient à contrôler neuf femmes, il peut tout aussi bien réussir dans autre chose ».
Walter Mosley et Danzy Senna galopent à ses côtés. Ils disent l’Amérique raciste, et donnent une voix aux éternels exclus, dans une langue singulière, celle de la dissidence.
On entre directement dans une littérature de terrain oů le vécu a plus d’importance que le papier sur lequel on imprime, comme on s’y torche. " L’écriture a été ma défense contre l’Amérique blanche ", affirme Chester Himes. Deux flics de Harlem dans le livre de Chester, sont des « anges gardiens », qui, en arpentant New York, passent constamment cette ligne de démarcation qui fixe le droit d’un côté, et de l’autre enferme les Afro-Américains dans un espace de non-droit, de violences et de misère.
Cette littérature remet sur le terrain ce racisme anti-noir du Blanc américain que l’on croyait, nous européens, en voie d’extinction.

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Danzy Senna, une jeune écrivaine de trente ans, décrit un monde dans lequel on est trop blanc pour les uns et trop noir pour les autres : un métissage invivable, dit à travers le destin d’une enfant de Boston élevée par des parents militants, et coincée entre le rêve d’identité affirmée et l’envie incurable d’anonymat qui fait aussi l’Amérique d’aujourd’hui. Le père et la mère militent dans des organisations différentes, et leurs divergences sur les formes de l’engagement auront raison de leur couple. Le père parle de " l’histoire d’amour entre l’Amérique et les Noirs castrés, aveugles ou estropiés ", explique comment les Blancs fondent leur pouvoir sur l’invisibilité. " J’ai disparu dans l’Amérique, oů rien n’est plus facile. Effacée, sans nom, sans identité. Avec seulement ce corps dans lequel je voyageais. Et le souvenir de quelque chose de perdu. " Symbole d’une place introuvable dans une Amérique introuvable...» C’est simple, c’est beau et c’est diantrement bien traduit.
Socrate le héros d’un roman de Walter Mosley vit dans un des ghettos noirs de Los Angeles. Il gagne sa vie en rapportant les canettes et les bouteilles vides au supermarché. Proche de la soixantaine, cela fait dix ans qu’il est un " homme libre ", après avoir fait 17 ans de taule pour un double meurtre. L’adresse de Mosley est de faire le croquis d’un homme qui cherche à se placer du côté du Bien, mais qui échoue à gérer les contradictions ; qui veut la paix, mais aiguise son couteau avant d’aller réclamer un boulot ; qui tente de faire éviter la rue et les gangs au jeune Darryl, un assassin de douze ans, mais qui part en chasse pour régler son compte à un criminel noir... " Tant qu’il y a de la douleur, il y a de la vie. " Héros tragique, Socrate met sa vie en jeu, à force de veiller sur son prochain, incapable d’échapper à la tentation de la rédemption. Le récit s’encanaille entre rêve et réalité, car Socrate veut prendre le temps de rêver. Et la nuit, il voit " sous la pluie et la lumière dorée de la lune, un cimetière s’étendant à perte de vue. (...) C’était là que reposaient tous les Noirs morts de chagrin. "
La vitalité de cette littérature tient en une inlassable quête d’un sens moral, véritable résistance contre une société qui s’échine à vous enlever votre âme tout en vous exhibant des tables de la loi impraticables, hypocrisie autour de la cruauté. Ce que disait ainsi un autre grand écrivain noir, Ralph Ellison : " La vie (...), cette bonne vieille nom de Dieu de partie de billard (...). Faut pas jouer la mauvaise boule. Faut pas jouer la noire. "
Quand on a lu ces livres, on s’interroge sur la vacuité de notre littérature, si intégrée, si molle dans sa feinte désignation de notre ennemi depuis des temps immémoriaux : nous mêmes. On se dit, mais quel bon Dieu de Jean-foutre sommes nous donc, qui nous associons à tous ces guignols friands de Prix Goncourt, de tirages exceptionnels, de critiques « intelligentes » et incapables de ressentir vraiment ce qu’est une douleur, ce qu’est une grandeur, ce qu’est un sacrifice, ce qu’est – finalement – cette inégalité, ce racisme que nous croyons avoir anéanti sous nos lois de censure, comme si nous ne savions pas que presque tous les blancs sont racistes, jusque dans leurs gênes.

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Alain?

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