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Soir d’eurovision

Après La ferme, les Colocataires, le Chantier, d’une débilité profonde, après être descendus si bas, qu’y a-t-il à l’identique qui nous revienne chaque année avec la régularité d’une crise d’urticaire au moment des fraises ?
Le Concours de l’Eurovision, pardi !
C’était il y a une semaine. On dirait presque un siècle !
Classée en duo avec les Hollandais, la Flamande Xandee, a passé le tour éliminatoire, là où la Suisse, le Portugal et Israël, entre autres, ont été priés de chanter ailleurs… pour finir avant-dernière avec 7 points.

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Outre l’envie qu’on a de se flinguer après un quart d’heure d’insupportables flonflons, de déhanchements suggestifs et de vocalises dignes des premières leçons de l’Académie de Musique de Montegnée, il y a du ragoût au constat du décès de la chanson française.
Depuis 1999, les moutonnantes apparitions se font dans la langue que l’on veut. Si bien que l’anglais est quasiment obligatoire. L’Ukrainienne Ruslana Lyzichko n’y a pas coupé avec sa danse des Carpates en mini-jupe, cuissarde et bustier en cuir, la nouvelle tenue du folklore de là-bas à ce qu’on suppose. Sa danse sauvage « Wild dance » était interprétée dans un anglo-américain tellement bien imité des studios d’enregistrement de Liverpool qu’on se demande s’il y a encore une autre langue que celle de Shakespeare/Chandler en Ukraine ?
Devant l’anglomanie déferlante que peuvent faire les nouveaux Indiens d’Europe que sont les Français, les Allemands, les Italiens, les Espagnols et les Bataves ? A peine de la figuration. Je n’ose employer « intelligente », le qualificatif en serait surfait.
Comment arrêter la connerie militante qui submergera tôt ou tard l’audiovisuel laissant au spectateur d’eurovision un magma de fesses, de nichons et de cris progressivement incompréhensibles, même pour un habitant du Devon ?
Lui tourner le dos ?
Aller voir où souffle l’intelligence ?
Ce serait parfait, si l’intelligence soufflait encore quelque part.
Réformer l’usine à gaz de l’intérieur ?
C’est impossible.

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Les adolescents eux au moins ont compris la leçon.
Pendant que la ménagère de moins de cinquante ans plie sa colonne vertébrale aux courbures du canapé et que son « rude » compagnon s’entend ronfler (un bruit infernal dans l’oreille interne qui le réveille toutes les trente secondes), l’adolescent anémié et que l’on a perdu de vue depuis les débuts du désastre, se tape un rassis dans les cabinets en louchant sur Star Magazine qui détaille la frêle silhouette du prodige vocal ukrainien.
Comme quoi, dans l’éventail des plaisirs variés de notre civilisation chrétienne, on peut dire que cet ultime et antique délassement est encore le plus apprécié de la jeunesse.

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Lorsque, passés onze heures, le dernier résultat tombe et que Ruslana triomphe enfin, la ménagère de moins de cinquante ans et son « rude » compagnon se déplient non sans douleur et craquement des membres. Le fils est derrière eux depuis dix secondes, sur la chaise « tête de lion » la moins branlante de la salle à manger.
Croyant qu’il a vu la chose, la mère y va de son petit commentaire.
-… J’ai trouvé ça poignant – Mathurin tu m’écoutes ? – Ruslana est poignante…
C’est exactement ce que le jeune gaillard trouve aussi.

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