Transport en commun.
On na jamais vu autant de déséquilibrés qui courent les rues.
Cest la faute à personne ?
Si un peu : grande précarité sociale, déséquilibre et disparité des ressources, modification du mode de vie, emballement du « progrès » ?
Il se pourrait que les villes soient peu propices à stabiliser les bredins ? Quand on sait jadis, quil nen existait pas plus dun par village ! La ruralité avait du bon.
Cest fou les gens qui parlent sans interlocuteur dans la rue. Les logorrhées touchent une personne sur dix. Cest inquiétant !
Fin daprès-midi dans le bus 21.
En face sur la banquette, une jeune femme dans les 35 ans. A ses côtés, un jeune homme victime dun chromosome aléatoire.
Pas de sa faute, le pauvre.
Après deux tours de roue, notre jeune homme saperçoit quil est assis à côté dune représentante du sexe.
On a beau être différent, on nen est pas moins homme…
Envahi dune soudaine pulsion, notre jeune homme se met à gagner du terrain sur la portion de territoire de sa compagne occasionnelle. Cest tellement gros et naïf que les habiles frôleurs habituels se seront bien marrés.
Une femme aujourdhui ne sen laisse plus compter. Oui, mais aller rabrouer un débile léger ?
Dans un premier temps, elle foudroie lindélicat du regard. Puis, elle prend son parti et se tasse contre la vitre, les jambes repliées, les genoux au menton, dans la position du fœtus.
Lirresponsabilité exonère de la culpabilité. Tous ceux qui ont dexcellents avocats vous le diront.
Est-elle sortie prématurément de ce bus bondé ? Je lignore.
Aussitôt descendue, notre jeune homme se pousse à la place libérée. Libérant la sienne pour un homme dans la cinquantaine, barbu, en short et encombré de paquets informes. A première vue, il a basculé aussi de lautre côté du miroir, tant il paraît inquiet, du genre scrutateur, lœil mobile, tournant la tête dun côté puis de lautre sans rime ni raison, lair furieux, farouche, disant à voix basse des mots dont nous ne percevons que des bribes.
Le jeune homme sapaise dans une probable pollution du fondement, qui lui fait pousser des petits soupirs daise : « Oh oui ! Oh là là, cest bon !... ». Soudain, son portable retentit. Il sen saisit et illustre son incohérence de grands gestes qui contrarient son voisin. Celui-ci lui lance des regards furieux dans lesquels on devine sa pensée. « Quest-ce que cest que ce fou ? » semble-t-il dire.
Le téléphoniste conclut en tirant une langue à son lointain interlocuteur qui nen peut. Puis, il pousse sur larrêt du portable, comme une caissière débutante le ferait de la touche « à rembourser » quelle utiliserait pour la première fois..
La langue na pas plu et est perçue comme une injure par le type en short qui devient agressif. Il rumine une riposte et on ne sait pas ce quil en adviendrait, quand une dispute éclate à lavant entre deux passagères sur une question de préséance pour une place.
Les deux sintéressent. Quil existât plus insolites queux leur tire des larmes de bonheur.
Celle qui pousse une gueulante est une dame corpulente dans la cinquantaine. Lautre est minuscule et est à lâge où les bus sont gratuits.
Nétant pas à proximité, je suppose que le feu devait couver depuis la place Cathédrale.
On ne dirait pas comme ça, mais les fous narborent pas nécessairement leur différence sur leur chapeau.
La corpulente savère être une dépressive, nont pas que le diagnostic se fasse à distance, mais parce quelle le dit haut et fort.
En quelques arrêts, nul nignore ses maladies, ses tourments et ses mérites dy résister.
On en est au détail de sa ménopause, quand elle descend à la Clinique Saint-Joseph.
Il était temps.
Cest le moment que choisit les Trompettes dAïda du téléphone du jeune homme pour retentir.
Le type en short du coup adopte le balancement du grizzli en cage.
Je me vois mal barré pour un arbitrage.
Je descends au premier arrêt au moment où les « Ça va ! Où que tes ? » de lun se couvrent progressivement des borborygmes de lautre.
Cest lâche. Je sais.
Et si les gens sensés nétaient plus majoritaires ?
Comment le savoir ?
On manque de statistiques.
Peut-être que les politiques attendent laprès élection de juin pour nous dire la mauvaise nouvelle ?
Le parti européen des débiles légers ?
On y arrive… Jadhère.