Commémo !
6 juin 1944 – 6 juin 2004. Il y a des commémos qui ne passent pas inaperçues…
Cette façon daligner les trémolos et les discours sur des chiffres ronds : 10, 20, 25, 50 et maintenant 60 ans !
1968 fut lannée du cinquantenaire de larmistice de 1918.
Le rapport avec le 6 juin 2004 ?
Les vétérans des deux guerres à leur commémoration phare frôlaient les 80 ans, lâge idéal pour la larme à lœil, la prescription définitive et confuse des abominations passées et la sensibilité sénile en exemple pour les jeunes générations !
Quand on vous épingle la Légion dhonneur, ce nest pas le moment de dire quon était là par hasard et quon avait quune pensée : foutre le camp loin de toutes ces horreurs !
Une commémo à cinq ou dix ans de lévénement a la fâcheuse tendance aux invectives, vire facilement au règlement de compte… Les généraux risquent une tarte dans la gueule.
Un demi siècle plus tard, les successeurs ne sont pas directement responsables.
Les cathos lont bien compris qui se méfient des Saints de lannée. Ils attendent souvent un siècle pour les célébrations.
La commémo aujourdhui est une forme de Grand Pardon, une grandmesse nationale où les anciens des deux bords se rassemblent dans le même hymne incantatoire.
Le récit poignant de ces vagues de pauvres types quon envoyait se faire hacher par les mitrailleuses allemandes dès leur sortie des péniches de débarquement soulèvent pas mal de questions. Ces massacres de soldats étaient inutiles. Cest toujours la même stratégie dun conflit à lautre, dune génération à lautre. Il y a un rapport entre cette boucherie de 1944 avec lautre de 14…
Il y a des commémos « rentrées », des rappels aux mauvais souvenirs.
Le Chemin des Dames naura jamais sa commémo. Cinquante-quatre mois de combat, comment voulez-vous avoir une date clé ? Cette affreuse histoire où des dizaines de milliers dhommes sont morts sur la route de Laon pour la possession de la Caverne du Dragon nintéresse plus que les historiens.…
Le temps est passé sur tout cela, comme il passera sur les plages de Normandie.
En 1917 dès que le général Nivelle remplaça Joffre à la tête des Armées françaises, il décida dexécuter son plan de bataille : lattaque frontale de la forteresse naturelle du Chemin des Dames. Il vient de décider du sort de milliers dhommes! Son offensive du 16 avril échoue lamentablement ; les soldats français passant à lattaque se firent massacrer par les mitrailleuses allemandes installées dans des trous dobus. Ne voulant pas renoncer, les responsables de ce sanglant gâchis ordonnèrent la continuation des combats. Mais cela ne servit à rien sauf à faire perdre la vie à des dizaines de milliers dhommes. Après cinq mois de commandement des Armées françaises ayant conduit le pays au bord du désastre, le général Nivelle est viré de son poste.
Similitude entre les plans : envoyer des troufions se faire percer quand lennemi est retranché. Différence de traitement avec ceux de 14 : les généraux de 44 ont été acclamés.
Quelques mots tout de même sur ce que nous venons de commémorer.
Le 6 juin 44 faillit devenir un fiasco monstrueux tant il avait été mal préparé avec des troupes novices à peine sortie dun entraînement bâclé.
Vous savez, quand les instructeurs se doutent que les gens quils instruisent ne passeront pas lannée, cest comme apprendre le français à un cancre qui de toute façon nouvrira jamais un livre.…
Les tirs des bâtiments de guerre tombèrent loin derrière les bunkers. Larmée allemande fit un carnage des débarqués, plutôt jetés à la mer par des marins pressés de foutre le camp sous le déluge de feu.
La bataille de Normandie, cest avant tout une catastrophe humaine de dizaines de milliers de morts.
Ce qui a sauvé la mise et fait quEisenhower est resté pour les manuels dhistoire un petit génie na rien été dautre que la supériorité de laviation alliée, alors que la Luftwaffe était définitivement clouée au sol.
La manière festive de la journée du 6 de représenter les horreurs du passé sous prétexte dhonorer les morts, les outrage au contraire.
Cest se moquer des victimes que de voir les successeurs des généraux sanglants, qui eux-mêmes ont à se reprocher les guerres du Vietnam et aujourdhui dIrak, sautoféliciter.
Non pas quil ne fallait pas débusquer lAdolphe, mais il fallait le faire en économisant les vies au maximum.
Question commémo, on en a tout un rayon, dont certaines « honteuses ».
Celle de la Commune de Paris, que lon a traînée dans les manuels bien-pensants comme une ignominie, alors quil sagissait dun acte éminemment patriotique de la part des Travailleurs parisiens : résister aux Prussiens. Finalement matés par cette vieille crapule de Thiers, ces Ouvriers ont été exterminés. On en a fusillé dix mille. Cétait en mai 1871, la semaine dite sanglante.
Là, pas de compliments, parce que plus de vétérans et pour cause, après la chasse aux ouvriers, les survivants avaient été bannis en Nouvelle Calédonie, dans les bagnes de Cayenne et dailleurs.
On peut ainsi remonter dans lhistoire de France comme celle de Belgique, pour sapercevoir que les commémos sont dinvention relativement moderne, probablement aux guerres du Premier Empire : Austerlitz (ah ! ce soleil) Wagram et le petit dernier Waterloo… 18 juin 1815. Les Anglais la commémorent encore.
A Liège, on a pris la précaution de ne pas commémorer la destruction de la cathédrale Saint-Lambert, quand on songe à tout ce que ces énergumènes nous ont laissé comme emmerdements avec ce grand trou au milieu de la place.
Alors ? Ayons une pensée émue pour ceux qui sont tombés dans toutes les guerres, souvent contraints et sans savoir pourquoi.
Les guerres sont des conneries.
Plutôt que sombrer dans les commémos, rappelons-nous Flaubert : « Tous les drapeaux ont été tellement souillés de sang et de merde quil est temps de ne plus en avoir du tout. »
Et passons à autre chose.