La pensée et les gnomes
Le baron Ernest-Antoine Seillère, propriétaire du groupe Wendel et patron des patrons français, vient de se payer Editis, ancien fief de Lagardère.
Vous allez me dire, « Quest-ce quon en a à cirer, de ce va-et-vient entre milliardaires français? »
Rien, si ce nest quEditis est un assemblage de maisons dédition. Alors si vous achetez des bouquins à la FNAC ou ailleurs chaque fois que vous prendrez un livre 10/18, Pocket, Fleuve Noir, Pocket jeunesse, un roman paru chez Julliard, Nil Editions, Bouquins, Quid ou Seghers, un dictionnaire Robert ou une publication des Presses de la Cité – je ne les ai pas cités tous – vous verserez votre contribution à celui qui sest illustré au titre de patron des patrons par des positions conservatrices et un sens de là-propos dans ses nombreuses interviews, que lon peut qualifier dextrême droite.
Dans lindustrie du fer doù les Wendel ont tiré leur oseille, cela passe par des crispations avec les syndicats, à la direction du patronat français par la remise en cause des acquis sociaux, mais dans lédition ?
Ce sera toute la diversité des titres de ces Maisons qui va sen trouver modifiée.
Certes, nous ne le verrons pas de suite. Les contrats en cours et le fonds de commerce des Editeurs sont là pour que ce changement de direction ne se voie pas trop vite. Mais, pour du changement, il y en aura, faisons confiance au baron.
Cest la pensée de gauche qui est en jeu. En un mot, ce mouvement des capitaux risque daffaiblir la diffusion de la pensée progressiste..
On voit mal le baron propager des ouvrages dénonçant les magouilles et les ratages de lEtat et du patronat français, publier Besancenot et certains philosophes de Saint-Germain.
Des libraires se sont déjà inquiétés, de même que le syndicat du Livre.
Le gouvernement Raffarin a donné son accord. LUMP applaudit. La canicule aidant, tout baigne pour ce nouveau « conducator ».
Son lieutenant, Lafonta, directeur général de Wendel, a lambition de faire dEditis le leader de lédition francophone. En la personne du baron, actionnaire principal, nous assistons à la naissance dun deuxième Berlusconi en Europe.
Pour lheure, nous sommes directement concernés. Nous navons pratiquement pas de Maisons dédition en Belgique, si ce nest quelques petites affaires assez conservatrices elles-mêmes, de sorte que nous dépendons presque entièrement de la France..
Le montage financier du groupe Wendel laisse rêveur.
Cest une jonglerie de banque à banque comme laiment nos libéraux.
Le coût de lopération sélève à 696,5 millions deuros.
Mais le baron ne sortira pas toute cette belle galette de son gousset.
Comme Editis devrait dégager un cash-flow de 55 millions dEuros en 2004, le groupe Wendel a emprunté les deux tiers de la somme aux banques et a fait porter la dette au niveau dEditis.
Ainsi, cest celui qui est repris qui financera le rachat !
Cest le coup classique que les petits locataires des maisons insalubres du centre ville connaissent bien. Leurs loyers anormalement mais légalement gonflés servent à financer lachat dautres taudis, aussitôt rentabilisés, par ceux que le MR appellent des entrepreneurs dynamiques.
Bien entendu, il y aura à la clé quelques regroupements, ce qui, en clair, signifie des licenciements.

Sauver une politique éditoriale hardie et novatrice des grandes maisons dédition déjà passablement passéistes et conservatrices sengage assez mal. Cest, ni plus ni moins, le droit à lexpression de ceux qui ne pensent pas comme le baron qui sera menacé demain.
La création, déjà si limitée par ses orientations contrôlées par le pouvoir, va en subir le choc.
Bien entendu, à entendre le baron, cest au contraire pour diversifier les titres, augmenter les puissances éditoriales que ce mécène dun nouveau genre se jette de la tôle ondulée au papier noirci.
Que les lecteurs qui aiment Paul-Loup Sullitzer se rassurent, avec les dOrmesson et Cie, le staff de célébrités parisiennes et quelques penseurs de droite, tout ce petit monde est prêt à apporter sa contribution à la pensée contemporaine. Il ny aura pas pénurie de titres.
Cette diversité-là ne sera nullement affectée.
Pour les autres, cest décidément une bien mauvaise semaine.