A qui le Tour ?
On brasse de lair, on sagite et on ne dit que des banalités. Ira-t-on ? Ou bien passera-t-on à côté dun événement par affectation déviter tout engouement populaire en se réclamant du peuple ?
En sattendant au pire, on y va, par crainte de passer pour un snob.
Le résultat est mitigé.
Le sport et le spectacle poursuivent des buts différents. Ils sont antinomiques tout en étant inséparables aujourdhui.
Voilà ce que je rumine en descendant sur la ville.
Les moins avertis sont surpris. Les plus malins deviennent idiots. Les moins sportifs se sentent des allures de champion. Les faux coureurs se mélangent à la foule, mêlant le faux au vrai. Cest une sorte de mardi gras, sans carnaval. Les concurrents font quelques tours du circuit, histoire de se mettre en jambes et découvrir le terrain.
Des commentaires continuels tombent des baffles. Lintarissable bavard officiel a le bagout de Montagné aux Grosses Têtes. Cest comme si les acteurs de cette dramaturgie étaient en piste alors quils sont encore à mouliner sur leurs rouleaux.
6 Km100, cest fou. Quand on voit le parcours, on se demande si ça ne fait pas le double ? Un particulier mettrait une heure et demie à faire le trajet.
Et les curieux arrivent toujours.
Lensemble est bon enfant.
Les barrières Nadar contiennent le flot humain sur les trottoirs.
On se dit que de belles choses ne feraient-on pas avec cet enthousiasme ? Il est vrai que les nobles causes nattireraient pas grand monde. On donne 5 euros pour un sac « Tour de France », avec casquette, tee short et accessoires. Un euro pour sauver un enfant à lautre bout du monde nintéresserait personne.
- Déconne pas, mec, avec ta noble cause. Pleure pas sur un événement qui naura jamais lieu. Réjouis-toi de ce que tu vois ce samedi 3 juillet… dirait nimporte quel type qui en aurait la patience, avant de foutre son poing sur la tronche de lemmerdeur.
Peut-être aurait-il raison ? Est-ce bien le moment de jouer les délicats ?
Une rumeur va crescendo. Cest lui ? Non cest lautre ! Un ordre immuable à chaque passage : un motard, le coureur et la voiture suiveuse. De cette dernière sortent des vociférations qui se veulent dencouragement et qui ressemblent aux cris du cavalier poussant sa bête.
Deux cents casquettes jaunes se penchent en même temps dans la courbe du pied de la rue Saint-Gilles au Boulevard dAvroy. Vlan, cest un nouveau passage de la course. A peine braque-t-on les yeux sur lasphalte que le contrelamontriste file inaperçu à partir de la deuxième rangée de spectateurs.
On ne voit pas grand chose. Mais, les gens sont heureux, béats ! Cest magnifique à bon compte. Les enfants sennuieraient bien, mais la vue de leurs parents frétillants les entraîne à sintéresser. Des animateurs jettent à la volée des casquettes, des mains géantes, des drapelets. Les enfants les ramassent dans les rigoles.
Dans de grands mouvements de bras tendus, la foule tangue et roule comme sur un navire. Les chanceux se saisissent des morceaux de plastique ou de tissus sans valeur et qui soudain, acquièrent limportance des trésors convoités.
Deux hélicoptères vrombissent. Ils donnent aux bruits ambiants la consécration du ciel indispensable pour les grands événements.
Lengouement est inexplicable. Cest un entraînement collectif dont personne nest maître. Combien y a-t-il de spécialistes qui pourraient parler de pignons, du nombre de dents, du rapport pédalier/dérailleur ? De combien avance-t-on dun seul coup de pédale sur le vélo dArmstrong par rapport à celui dUlricht ?
Quimporte. On regarde filer les acrobates aux vélos sur mesure, comme si nous étions des primitifs sans téléphone, ni ordinateur.
Le contre la montre nest pas une course ordinaire. Il dure autant de fois de passage quil y a de coureurs. Le public restera jusquà sept heures accroché aux barrières, les pieds gonflés, la bouche pâteuse, malgré les sodas des marchands et les gaufres que des opportunistes vous passent sous le nez en sachant bien que vous ne quitteriez pas lendroit stratégique occupé de haute lutte, pour rien au monde.
Lexorcisme achevé, on se traîne jusquà une voiture quon a abandonnée si loin quon désespère dy jamais y arriver.
Aussi bizarre que cela paraisse, loin de détester le vélo, cet exercice fou vous donnerait plutôt lenvie de repédaler, ce que vous navez plus fait depuis lenfance…
Hors du tourbillon, on reprend ses esprits. Comment a-t-on été assez bête pour sêtre pris au jeu ? Peu à peu, on redevient ce que lon a cessé dêtre lespace dun après-midi.
Ce devait être le même entraînement quand, en 1789, on criait « A la Bastille » !
On se reconnaît solidaire des autres, parce quon est un peu con soi-même.
Et dire quon a lu Le Bon et sa Psychologie des foules et quon nest pas devenu plus « sage » pour autant