Lémotion était palpable bis
York – Comment contrebattre la fâcheuse impression de cette jeunesse malheureuse que nous dépeignîmes si cruellement dans le blogue précédent ?
Bontemps – Il suffirait de montrer quelque belle vie édifiante de nature à opposer la vertu à la bestialité.
York – Ne risque-t-on pas à ce jeu de fatiguer le lecteur ?
Bontemps – De toute évidence ; mais vous en obtiendrez aussi une contrepartie qui vaut son prix.
York – Laquelle ?
Bontemps – Celle de dérouter par un inhabituel souffle.
York – Le pourrai-je, tant ma nature est contraire à la flatterie.
Bontemps – Vous ne flatteriez point, votre Excellence, puisquil vous serait crédité par vos accents sincères au moins la conviction dêtre un homme de vérité.
York – Il me faudrait dresser le portrait dune femme, belle, intelligente, sincère, honnête et fidèle.
Bontemps – Pourquoi pas la Vôtre, si votre Grâce me pardonne cette suggestion ; car, ne men veuillez point, mais les qualités que vous avez dites correspondent en tous points à celles dont la nature avait pourvu madame la Duchesse.
York – Sais-tu, coquin, que tu me persuades !
Bontemps – Mille grâces, Monseigneur.
York – De part la place que la Duchesse prit malgré elle auprès de madame la Duchesse de B., elle approcha bien des particuliers et fut connue de tout ce que le Royaume contient dhommes de qualité.
Elle fut honorée et respectée du roi, mon frère, qui naimait rien dautres que chasser à la forêt comme à la Cour et qui, à son contact, shumanisa.
Les écarts de qui on lavait attachée malgré elle ne firent que plus dimpressions en faveur de son grand sens, de la prudence avec laquelle elle prévenait les désastres de cette malheureuse princesse. La justesse de son esprit était, à légal, en France, de celui de Montaigne. On se partageait les relations quen firent les historiographes sur la décision de les publier, par le monarque. Les philosophes et les poètes nétaient pas loin de leur trouver un sens comparable à celui du divin Arioste.
Sa modestie la faisait rougir des éloges de toutes les qualités qui firent le tissu de sa vie entière.
Sa vertu, quoique austère pour elle-même, était aimable. Bien loin de rebuter, ses paroles nétaient point autre chose que des moments de grâce pour ceux qui lapprochaient. Il en fut ainsi tout le temps quelle vécut. Des dames plus âgées quelle et de grand bon sens vinrent plus dune fois la consulter. Sa réputation ne fit que croître jusquau moment où nous la perdîmes.
Bontemps – Hélas !...
York – Le Dauphin qui la voyait souvent avait pris pour elle beaucoup destime suivi en cela par son épouse et toutes les dames de lapanage. Même les menins cessaient leurs espiègleries à son approche à seule fin quelle leur sourît. Leur récompense nétait-elle pas quelle passât une main familière sur ces têtes blondes comme le ferait une mère attentive à ses enfants ?
Bontemps – Quune personne de cette qualité vînt à nous manquer est une irréparable perte.
York – Il le fallait Bontemps. Il le fallait…
Bontemps – La nouvelle en est encore épouvantable à nos esprits après tant dannées.
York – Elle ne souffrit point. Jy veillai moi-même. Nous la saisîmes lors de son sommeil et le garrot, sitôt mis, fut serré par des mains adroites avec ardeur. Lorsquelle ouvrit les yeux et quelle me vit en larmes, ce fut, je crois son dernier réconfort.
Bontemps – Pouviez vous faire autrement ?
York – Les lois qui Nous régissent ne sont pas les mêmes que pour le reste des humains. Vous rendez compte au juge avant le bourreau. Nous ne rendons compte quà Dieu.
Bontemps – Vous avez souffert !
York – Jen atteste. Son image me poursuit encore des années plus tard dans mon sommeil. Je me réveille en sueur et je dis son nom, pensant quune main secourable posera sur mon front enfiévré la douceur de ses doigts. Je retombe sur ma couche, défait et malade, sans autre plaisir que celui que me fait alors une gouvernante dont la voix mapaise dans les lectures des Saints Evangiles.
Bontemps – Vous ne regrettez point le geste fatal qui vous en fit séparer ?
York – Le métier de roi était à ce prix.