Peinture daprès... mature !
- Vous peignez, Mademoiselle ?
Lautre, son chevalet au milieu du chemin, à la main, une brosse sur laquelle est écrasé un bleu cobalt, ne va pas dire : « Non, je prends lair en attendant le soir. »
- On peut voir ce que vous faites ?
Ce nest pas difficile, derrière lartiste qui essaie de peindre le sentier du Bouhay.
Parce quelle doute de son talent et quelle est sensible à lopinion, lendroit désert lui paraissait favorable.
Limportun na pas lintention de critiquer sévèrement. Ses moyens intellectuels ne le lui permettraient pas. Il sen fout de la peinture. Cest la femelle qui lintéresse.
- Cest bien ce que vous faites.
Il aurait pu choisir « Cest formidable ! », « Cest magnifique ! »
Lorsquon drague, il vaut mieux user de superlatifs. Il se pourrait que lartiste se dise : « Si ce type est au maximum avec « cest bien. »… Cest que cest moche » !
Mais, cest léblouie delle-même, la nymphette à jamais… Tout compliment la met au bord de lorgasme.
Elle sourit. Le type prend ça pour un encouragement. Il a raison.
Il quitte la toile des yeux et louche sur la blouse entrebâillée de lartiste.
Comme il faut chaud, elle est dépoitraillée, mais pas plus quà Ostende au bord de mer.
Lartiste a cinquante ans sonné. Ce nest pas une forte pointure comme Pamela Anderson, mais avec un soutif rembourré, elle fait illusion. Dun brun qui tire sur le roux, elle grisonne depuis dix ans. Ses rinçages auburn avec la chaleur décalquent sur la nuque. Les jambes sont bien galbées. Les cuisses auraient tendance à « frotter »... Cest une femme en deux parties, fluette aux étages et massive sous la ceinture, jusquau derrière sur lequel elle a de quoi sasseoir. .
Le type nest pas du genre imagination créatrice. Il sait ce quil veut, mais il ne sait comment dire.
Il nira pas jusquà balancer : « Jhabite à côté. Ma femme est chez sa mère qui a eu un malaise. Je suis seul et jai envie de baiser. » Ce nest pas un homme de vérité.
Attaquées de pareille manière, certaines demandent du secours sur leur portable.
Elle ne dira pas non plus : « Tas lair fluet, mais bon… Si ça te dit… Seulement, je te préviens, je ne fais pas de pipes. La dernière, cétait à mon mari il y a bien longtemps. Ça ne ma pas laissé un grand souvenir ».
A une telle franchise, il pourrait penser : « Jignorais que les putes font de la peinture. »
Fluet, mais enveloppé du bide, le riverain amateur dart touche à la soixantaine. Il serait plutôt maigre sil navait ses durillons de comptoir. Un nez aquilin, un front haut et des petits yeux bruns protégés par des Varilux donnent lair intellectuel à qui sait à peine lire.
Ravagés par la misère sexuelle du demi siècle, ces deux-là ne se posent pas la question du choix. Ils sessaieraient bien à tout qui passe à portée.
Le silence pesant ne laisse que deux solutions au promeneur. Poursuivre le chemin qui le mènerait au diable Vauvert, à cause des jardiniers du dimanche qui ont fermé les chemins parallèles aux voleurs de brocolis ou réamorcer la conversation sur le sexe.
- Vous aimez le ris de veau ?
Cest une question idiote. Cest la seule quil ait trouvée dans son désert cérébral.
Lautre qui a en tête de décrocher ses toiles dune salle de restaurant, réplique : « Oui, jy expose justement. »
Ce nétait pas la bonne question… logique que la réponse ne la soit pas non plus. Le bandeur solitaire sent limpasse. Sa tumescence linspire :
- Votre peinture est profondément sensuelle. Hein ?
Lartiste sacharne à rendre les tons dun buisson qui sapparentent à la couleur de la pistache du glacier de la rue Saint-Gilles. Elle est interloquée. Si le type attaque la question du cul, il nest jamais bon dembrayer, la fameuse retenue des dames !
Cependant, elle ne voudrait pas décourager linitiative.
« Dans toutes les formes de lart, il y a le piment du désir rentré… » Elle reprend son souffle, la bouche en cul de poule. Sembarquer dans une phrase sans avoir aucune idée de la suite, cest fréquent dans les vernissages, quand il y a du monde, mais là, au Bouhay…
Heureusement que le candidat, dépassé, se perd en conjectures sur « le piment du désir rentré ». Les piments, cest ce que sa femme met dans losso-buco. « Avec une pointe dail, alors » dit lourdement le thuriféraire, en grattant son encensoir par la poche du futal.
Lartiste y voit une comparaison hardie. Elle le croyait stupide. Il lest. Mais un doute plane.
« La femme sexprime, dit-elle en étudiant ses mots, même en représentant un buisson aux sarments tourmentés, cest ma sensualité que je canalise ».
Voilà, elle est lancée… deux doigts du cul.
Les prolégomènes du sexe nont jamais valu un clou. Les romanciers qui établissent des stratégies sur des finesses de langage ne connaissent rien à la baise.
Ils sont si près de conclure, quil effleure la blouse du dos de la main par une inadvertance calculée. La baleine souple du renforcé lui donne lillusion de toucher laréole et le bouton durci.
Les lèvres vermillonnées entrouvertes de lartiste laissent apercevoir à limpétrant des dents qui ne sont pas trop abîmées. La langue shumecte dune salive aux bulles pétillantes. Les beaux yeux noirs louchent un brin sous la tension. Le souffle est perceptible.
Reste pour ladmirateur à embarquer la chose sur le sommier conjugal. Le bel après-midi nest plus une fiction.
Au moment du petit baiser sans la langue parce quon est au milieu du chemin… le bruit bien connu dune fiat 500 le cloue sur place.
Cest lépouse qui rentre fatiguée de bassiner le front de sa mère.
Il se recule, examine lœuvre une dernière fois puis sen va disant : « La peinture… la peinture… » comme si la réflexion profonde que ce mot lui inspire a une telle signification quil est incapable de rien ajouter.
Le soir lartiste mettra sa toile à sécher dans latelier du rez-de-chaussée, elle fait la gueule. Et cest quand lautre imbécile chantera « Quand on na que lamour » de Brel la scrutant de ses yeux de vieux con derrière des grosses lunettes, quelle pensera au type de laprès-midi, et quelle aura vis-à-vis du chanteur, un tel mépris que celui-ci se taira instantanément.