Lanthropophage autophage
Lépoque est redoutablement réductrice.
Il ny a plus guère de la place en Belgique pour une philosophie autre que celle dun consensus au système capitaliste. Cest à croire que de nos « Forces vives » et du peuple tout entier ne viennent que soupirs daises et joie de vivre.
Cest désolant parce quainsi disparaît la faculté critique de lenseignement, des médias, des partis politiques et des syndicats de gauche, ce qui est un comble, pour ces deux derniers.
Paradoxalement avec laccroissement des gens qui nont plus rien à dire, saccroît le nombre de chômeurs.
Ou les gens sont à laise au point que dans cette société plus aucune distorsion ne se constate et que tout baigne ou lon ne donne la parole quà ceux qui pensent que le progrès est fils de la misère, de sorte que tout irait mieux demain !
Cest en vérité que lun ne va pas sans lautre et si la priorité est donnée aux bienheureux du système, cest parce quil faut bien se garder de nos jours de sortir dun honteux réformisme qui nest quune capitulation devant le capital.
Hélas ! sous le tableau idyllique, les événements se précipitent et les situations les plus fortement assises, comme celles de la petite bourgeoisie du commerce et de lAdministration, se paupérisent au point débranler les certitudes.
Les piliers de notre organisation politique et économique fichent le camp, les uns après les autres.
Nous avons le sentiment dêtre arrivé à un tournant.
Notre vie ne vaut plus grand-chose et on nous le fait savoir.
Comme notre consommation, nous sommes destinés à être « changés » pour une rentabilité constante.
Le travail humain est remplacé par la machine qui travaille mieux, plus vite et sans à coup, machine qui est directement reliée à largent dans le seul but de créer des plus-values.
Les valeurs sinversent. Lhomme ne vaut plus rien, parce que largent est tout. Il a pris la place de lhumain parce quil est intemporel, lors même que nous sommes de chairs et dos fortement dégradables au point quà peine avons-nous servi, que notre valeur devient insignifiante, quasiment nulle.
Le fondement même du système capitaliste est au cœur de cette usure rapide et de ce remplacement accéléré.
Le profit donc la plus-value est son seul moteur.
Aucun facteur le contraignant ou adoucissant ses objectifs ne peut lutter contre cela.
Les choses que nous touchons, que nous aimons et que nous désirons pérenniser ne représentent quune abstraction assimilable afin dalimenter le profit. Il ne peut souffrir dexception sous peine de déchéance et de mort sociale.
Nous sommes destinés à entrer dans la spirale du profit ou disparaître.
Le capitalisme a besoin de lénergie qui le fait avancer sans égard de ce quil détruit à son seul usage.
Lautoalimentation du monstre ainsi créé népargne même pas les entreprises qui ont longtemps été la sole du four de ce foyer consumant. Elles finissent par servir à leur tour de combustible. Les entreprises sentredévorent entre elles !
La logique de la vocation majeure est la primauté. Etre le seul est le but. Quand il ny a plus autour de soi que des décombres à part le beau corps florissant de lentreprise unique et universelle que lon est devenu, il ne reste plus quà se dévorer soi-même.
En veut-on un exemple ?
La restructuration de nos hôpitaux a constitué un des plus grands scandales des dix dernières années. On a cassé du matériel, envoyé des lits à la ferraille, aplati des laboratoires danalyse, alors que lAfrique et lAmérique du Sud continuent à manquer de tout et que les mouches infectent les plaies des malades couchés par terre.
Aussi, le capitalisme est ce quon fait de mieux pour casser le capitalisme.
Il ny a plus quà patienter. Déjà le monstre a avalé ses fondements. Il digère ses entrailles. De son estomac sortent ses pestilences. Encore un effort et il mangera son cœur.
Quand il ny aura plus rien que des ruines, il faudra bien convenir que nos papes de la réussite avaient tort, que nos réformistes de gauche nétaient que des fascistes déguisés et quenfin notre démocratie nétait quune putain les jambes ouvertes soumise au désir de la bête.
Combien paraîtront fades aux survivants nos querelles à propos de DHL ou nos prurits libéraux à propos de lEurope.
Alors, peut-être, si le fond de lhomme nest pas fait que de haine et dégoïsme, réapprendra-t-on à compter les uns sur les autres jusquà évacuer les mauvais souvenirs de la suffisance de largent et des bonheurs transitoires et de plus en plus court quil aura donnés.
Alors la terrible hérédité des Atrides modernes sarrêtera. Largent aura limportance dune feuille dautomne rongée dans les sous-bois par les collemboles. Il ne signifiera plus rien.