Une pulsion agressive
Elle ne pouvait pas tomber plus mal avec Chocolat. Charron lui avait dit : « pour ne pas rester seule, prenez un animal ». Le conseil avait été judicieux, sauf que Chocolat naimait pas la solitude non plus. Il avait rongé les boiseries des portes, lacéré un coussin et sattaquait à un pied de la table quand Clotilde était rentrée. « Mon dieu ! la sale bête… ».
Elle lavait remise à la SPA doù Chocolat naurait jamais dû sortir. Ce fichu appartement pour étudiant peu fortuné ou pour adulte complètement fauché, nétait quune niche, mais pour un humain seul.
Depuis quelle avait rompu avec un type quelle avait connu en ville, qui lavait invitée au restaurant, pour ensuite la conduire chez lui à Harre dans un taudis doù elle sétait échappée au milieu de la nuit sur le vélo de la fille aînée, Clotilde ne sortait plus dune poisse sans pareille.
Le chien nétait quun épisode. Cétait une succession de catastrophes. Elle sétait endettée pour les trois meubles et le divan-lit de son minuscule appartement. Largent sétait tout de suite mis à manquer, lancinant, taraudant, envahissant de crainte sa pauvre tête déjà tourneboulée.
Charron était un de ces médecins pas méchant homme, mais tellement pris par une nombreuse clientèle, quil entreprit une démarche de placement pour sen débarrasser, comptant bien faire…
Quand on dépend de tout le monde, il ny a que deux façons dêtre : faire face courageusement et se faire tout petit et humble ou se rebeller et accuser la terre entière de sa faillite.
Trop de misère dun coup dispose à la deuxième solution qui est sans issue lorsquon na pas lindépendance desprit par des moyens assurés. Que voulez-vous que cette pauvresse entreprenne dans son état dimpécuniosité permanente ? Elle nétait pas comme ces protestataires qui rangent les soirs démeutes leurs jeans troués pour réintégrer lambiance dune maison de notaire.
Elle navait pas les moyens de protester. La Société le sait bien qui attend ces catégories sociales-là au tournant.
De sorte que ce ne sont pas ceux qui sont victimes des plus grandes injustices qui protestent, mais dautres à qui le régime profite et qui en ont honte. Cest tout à leur honneur du reste.
Les riches tiennent en laisse les esclaves « heureux » - la grande majorité restante – qui ne sont ni fous, ni révoltés.
Les patrons se rassurent par le piteux état de leur personnel. Une tare qui nempêche pas dêtre vaillant au service ne les gêne pas du tout, au contraire. Elle justifie même un certain mépris et un moindre salaire. Mais au-delà, ils sinquiètent dune trop grande déchéance. Et Clotilde effrayait positivement, jusquaux Ateliers protégés.
Elle ne pouvait plus se contrôler. Elle constituait un danger social pour les entreprises et une source dinsatisfaction inquiète pour ses ultimes amants.
Ses derniers appuis, elle nen voulait plus. Elle se coupa de tout le monde.
On mit ses affaires dans le fond dun garage.
Elle navait pas grand-chose. Cétait encore trop. Des voisins pillèrent son bagage.
De lhôpital psychiatrique de jour, elle passa à la pension complète.
Son cas nétait pourtant pas compliqué.
Dune nature honnête, Clotilde ne pouvait supporter devoir partout et nêtre rien.
Un peu de respect, quelques billets davance et cétait lespoir qui renaîtrait.
Mais la médecine nest pas une banque.
On la gava de pilules dont largent nécessaire au traitement complet aurait largement suffit à lui rendre la santé avec la liberté et lautonomie.
Son cas nintéressait personne et on pensa sérieusement à linterner définitivement.
Enfin, on parvint par ce traitement à la rendre complètement abasourdie et comme absente.
Sensible au raisonnement, capable de penser sa vie et de lorganiser, comme ses crises de fureur étaient étouffées de pilules de toutes les couleurs, quelquun décida quelle était guérie et apte à retrouver les chemins de la liberté.
Oui, mais laquelle ?
Il importait peu pour la médecine. On la refila à lassistanat social.
Elle y serait encore à partager « les lieux de vie » avec les immatures et les drogués, si quelquun ne sétait avisé quelle prenait la place dun cas intéressant.
Je lai trouvée un soir qui dormait sous mon porche.
Que valons-nous pour juger les autres ?
Cette femme navait besoin que dun peu damour pour retrouver léquilibre et la raison.
Le reste ne vous regarde plus.