Le salaire des stars.
Une récente enquête sur les salaires des vedettes de la télévision a retourné le couteau dans la plaie des téléspectateurs qui furent nombreux ce matin sur Europe 1 à exprimer leur indignation dans lémission de Morandini consacrée à lactualité télévisuelle.
Cet étalage des plus gros salaires nest pas rare il ny a pas longtemps nous avons eu droit à dautres morceaux de bravoure qui touchaient les stars de cinéma.
Tout le monde a conscience des disparités énormes qui existent entre les revenus toute classe confondue. Ce nest donc pas une nouveauté surprenante, sinon que lalignement des zéros pour personnaliser certains salaires a l‘effet singulier de faire naître ou daccroître en nous un sentiment dinjustice alimenté par lenvie. Ce dont profitent les agitateurs en haine première.
Il sen dégage limpression dun malaise social. On se trompe sur sa nature. Ce qui est scandaleux, ce nest pas que Poivre dArvor gagne un nombre respectable de fois le salaire dun manœuvre léger, ce qui est scandaleux, cest que ce manœuvre léger ne puisse pas vivre décemment de son salaire.
Cette énorme différence si elle nest que considérée sous la forme du mérite prête plutôt au ridicule et en dit long sur létat des rapports entre les travailleurs.
Cest toute la valeur supposée des individus qui est en cause. DArvor, Chazal et les autres qui sont des journalistes « dintérieur », lisant en pantoufles sur les écrans des prompteurs
tout ce que leurs collaborateurs et parfois eux-mêmes veulent bien y mettre, sont un grand nombre de fois mieux payés que ceux qui couvrent lévénement et risquent de se faire descendre à Bagdad ou ailleurs et qui nourrissent lévénement de leur travail.
Cest si lon considère seulement sous langle du mérite cette énorme différence, que cette disparité est scandaleuse.
Il en est ainsi partout. Ce nest pas le directeur dARCELOR à Seraing qui risque de tomber dans un cubilot dacier en fusion, mais le pauvre type qui gagne bien moins que lui. Mais peut-être bien que le premier possède certains atouts que lautre na pas, comme les études, la naissance, le caractère rare de la profession quil exerce au sein de la société, etc.
Cela ne justifie pas que le premier puisse changer de voiture tous les ans, alors que lautre se demande comment il va payer la facture de fuel de cet hiver.
Il ny a rien de plus bouffon que dentendre un artiste connu interviewé par les médias. Il en est très peu qui conviennent quils ont eu une sacrée veine et quà tout prendre, il existe dans la profession de plus percutants qui ne sont pas connus, qui ne le seront sans doute jamais ou qui gagnent des clopinettes à des emplois subalternes.
Enfin, il existe des individus qui nont pas besoin de prouver leur talent, ce sont les propriétaires et autres actionnaires majoritaires de multinationales, dénommés dans la presse davant le reniement du PS, les nantis, les possédants, etc..
La cupidité ne se réduit pas à lintérêt personnel, mais doit se comprendre dans linstitutionnalisation de notre culture comme allant de soi. Ce nest pas la valeur intrinsèque de lhomme qui est monnayée dans le salaire, mais la volonté de se mettre en valeur et passer pour « meilleur » que les autres. En matière de télévision et de spectacle le numéraire est accordé selon deux critères : le premier, le plus important est la notoriété, et lorsquelle est acquise, le talent vient après accessoirement. Et quon ne vienne pas prétendre que pour être connu, il faut nécessairement avoir du talent.
Curieusement, cet état de cupidité nest pas le propre dune pulsion instinctuelle. Par exemple, chez les grands singes, il nexiste aucun instinct daccumulation.
« Lhomme, écrit Hobbes, est un être dont la joie principale est de se mesurer aux autres ; il ne peut donc véritablement se réjouir que sil dépasse les autres. »
Cest la vanité et non pas lagrément ou la joie qui nous intéresse. Le statut social est le but final de la moitié des efforts de notre vie.
Nous navons pas encore compris que les exemples mis en avant de réussites sociales ne sont là que pour nous donner lillusion quun jour ce sera notre tour. Or, mathématiquement, cela est impossible, doù ces croche-pieds inutiles à nos semblables qui ne servent quà créer une émulation par la frustration dont le système à besoin pour sa survie.
La seule expérience concrète quil faut retirer de cet argent quon jette par les fenêtres et qui ne sert quà quelques uns, consiste à comprendre les relations qui existent entre le gros salaire et le désir de sécurité qui est en chacun de nous, mais que nous ne pourrons jamais combler si nous ne « réussissons » pas !
Une seule catégorie de hauts salaires a des relents de scandale, celle des personnels politiques qui sont censés user avec parcimonie des deniers publics et qui défendent – en principe – des électeurs bien moins nantis queux en leur prêchant laustérité et la modération des revenus. Lorsquon sait quils ont la faculté de proposer à lAssemblée – cest-à-dire à eux-mêmes – laugmentation de leurs rémunérations, on se demande ce qui arriverait si un présentateur du journal de TF1, avait le pouvoir de placer la barre de son salaire à la hauteur de ce quil croit être son mérite !
Il y aurait dans les six mois de retentissants dépôts de bilan.