Les années Tapie.
Avant Tapie, lentreprise avait plutôt mauvais genre. On connaissait vaguement Frère, Davignon, Vandeputte, Paul Vanden Boeynants – qui faisait le lien entre les affaires et la politique - sans plus. Encore aujourdhui, les gens qui en ramassent dans les Conseils dadministration ne tiennent pas particulièrement à faire du show. Et puis il y avait la dénonciation du capitalisme comme une activité honteuse.
Avec le surf sur la vague porteuse, le monde politique, en enrichissant ses cadres, a changé du tout au tout. Ce nest pas une question de stratégie, cest un virage total, comme une auto qui tourne à un rond point pour remonter la route doù elle était venue.
Il ny eut plus dobstacle à ce que les petites gens adhèrent au capitalisme. Une des plus grandes escroqueries des temps modernes, si lon excepte le communisme, nétait plus dénoncée comme telle !
Lheure Bernard Tapie pouvait sonner. Les raquettes de tennis Donnay avaient besoin dun manager dynamique, les Belges firent connaissance avec le grand communicateur européen, juste avant laméricain Reagan.
Sa réputation de « héros » social le précédait. Il avait, en moins dun lustre, transformé la fâcheuse réputation de lentreprise. Désormais, elle nétait plus un lieu dexploitation et daliénation, mais une sorte de « challenge » (le mot est resté), chacun pouvait sy révéler. On allait y travailler comme « chez soi », pour soi. De ce temps, datent les horaires aménagés, le travail à domicile, tout un arsenal séduisant, dangereux et trompeur.
Puis vint la crise de 1987. Les grands projets économiques dans les tiroirs attendirent des jours meilleurs. Malgré les forts taux de chômage, la doctrine socialiste radicale ne reprit pas vigueur. On poussa un ouf de soulagement. La droite avait une dette envers la gauche.
Bernard Tapie représentait le renouveau et lespoir. Son charisme rejetait derrière lui les caricatures patronales attribuées à ceux qui gagnent de largent.
Chanteur glamour, extraverti comme une star de Hollywood, le beau Bernard chouchou des médias et du show-biz retroussait ses manchettes devant un public ravi, venant du fond de la salle suivi par un projecteur pour des émissions du genre « Ambition », il bondissait sur scène comme les présentateurs « maison ». Pour calmer notre impatience, il nous chantait « jaurais voulu être un artiste ». « Non, Bernard » criaient les minettes, « reste comme tu es. »
Ce type était limage même du gagnant et du manager fabuleux, le repreneur des situations à la dérive, le défenseur ultime des travailleurs menacés par la sinistrose de leur patron, roi fainéant près de sévanouir dans la nature avec la caisse.
En ces années de catastrophes industrielles, Bernard Tapie était le dernier rempart !
En Belgique lentreprise Tapie na pas attendu leffondrement de la star lié à celui du Crédit Lyonnais. Laffaire Donnay se dégonfle. Les personnels sont à la rue, dans une pire situation que sils avaient été floués par un patron traditionnel.
Ainsi, la goualante de Bernard nempêchait pas le désastre ! Pire, il laccélérait. La fin des illusions provoqua la montée du Vlaams Blok en Belgique et le renouveau dune droite musclée en France avec Jean-Marie Le Pen.
Mais lillusion est tenace. Figurez-vous une population qui travaillerait sans illusion, quel esclavage ce serait !... Même le PS aujourdhui pousse les gens à croire aux salades quil combattait avant.
On est revenu en 1830, les années Guizot… « Enrichissez-vous » de Louis-Philippe, tandis que dautres météores passent dans le ciel de la finance ; mais venus dautres continents et tous plus suspects les uns et les autres.
Bernard Tapie à peine reconverti saltimbanque, voilà Jean-Marie Messier qui savance, Narcisse grassouillet, pour faire la une des journaux people, dabord en success-story hollywoodien, puis dans la colonne des faits-divers, tandis que chez nous, les dérapages sabéniens et les tribulations de Vandeputte à la tête de la FEB, liquidateurs dune piétaille de petits porteurs dans des activités annexes, nous portent à croire que, décidément, le monde des affaires, à part ladmiration que lui voue désormais le PS, est incorrigible.
La suite le dira, nous ne nous méfions pas assez des polytechniciens que le monde des affaires nous présente comme des flèches et des avocats que la gauche et la droite mettent aux responsabilités à notre place.
Il nous reste, en cette fin 2004, à spéculer sur le ténor suivant qui fera pleurer démotion jusquà lamphi, les mélomanes chômeurs.
Qui sera-t-il ? Les profileurs le voient déjà remplacer ARCELOR par une entreprise haut de gamme, capable deffacer un siècle et demi de suie des hauts-fourneaux.
Sera-t-il champion du redressement de laéroport de Bruxelles-Zaventem, à lheure où tout fout le camp dans la périphérie ?
Aussi drôle que cela paraisse, ce messie, dune industrie qui se délite, est plus attendu à gauche, quà droite, ne serait-ce que pour montrer que « les gauchistes » ont tort.
Alors, si vous connaissez un Bernard Tapie, tout aussi flamboyant que lautre qui pourrait renouer avec le peuple sur les planches du théâtre de la liberté et du commerce, ne manquez pas den informer Elio Di Rupo.