Profession : comédien.
On ne choisit pas sa profession. Entraînement fortuit, hasard, circonstances, les parents, parce quils sont dedans ou au contraire, pour ne pas faire comme eux, voilà le plus souvent ce qui décide dune « carrière ». Les métiers auxquels lenfant a joué, nengagent pas forcément ladolescent, sans quoi tout le monde serait pompier, détective ou médecin.
Notre époque, vouée à la nécessité, habituée à nous vendre lemploi disponible, tient lieu de tout, y compris une orientation raisonnée. Encore bien heureux dêtre apprenti coiffeur, quand on voulait devenir boulanger. La vocation impérative nest plus quun luxe hors de prix. On na pas la vocation impérieuse de faire soudeur à larc ou manutentionnaire chez DHL.
Lenfoiré du FOREM na plus à orienter qui que ce soit. Il case comme il peut selon les directives du Ministère. Si vous voulez quil se foute de votre gueule, vous navez quà dire que vous avez une vocation. Surtout ne dites jamais que vous voulez devenir comédien ou écrivain, ou trapéziste. Ces professions nexistent pas dans le panel des demandeurs demploi.
Vous en avez la vocation ? Tant pis pour vous et allez vous faire foutre. La Comédie française nengage pas dapprentis et Gallimard na plus le temps de lire les tonnes de manuscrits qui passent ainsi directement du sac du facteur à la poubelle.
Par contre, certaines vocations « raisonnables » accomplies donnent au choix une indication psychologique.
Je me suis toujours demandé ce qui poussait un médecin à devenir gynécologue ?
Il en est de même du métier si difficile à ses débuts de comédien, difficile par la rareté de lembauche, à tel point que la plupart de ceux qui veulent lexercer ne seront jamais appelés à en vivre, difficile par le long apprentissage quil nécessite. Les « natures » sont rares. Le talent se travaille aussi durement quune ballerine à la barre toute la journée pour deux entrechats le soir. Qui dira jamais les frustrations cachées du comédien amateur ?
Notre société na que faire de lart, en-dehors de la valeur refuge, monnaie déchange et de spéculation. Le fric ne se ramasse pas sous les pas des artistes, si lon excepte quelques-uns, juste là pour ne pas désespérer les autres.
Le désir de devenir acteur est une conclusion à une décision réflexive. On ne se dit pas : « Que ferais-je comme profession ? Je vais faire acteur ! » suite à une question des parents. On a dabord la passion dinterpréter des personnages.
On se cherche devant une glace. Le reflet quon a de soi est une personne variable, inconsistante. A peine sest-on glissé dans la peau dun autre que cest un étourdissement de bonheur et la révélation de ce que lon sentait confusément et que lon perçoit comme étant ce que lon voulait de toujours.
Entre soi et le personnage, la différence est minime : il sagit dune conjugaison à la troisième personne du singulier « IL » qui dit « JE ».
Le personnage recréé na pas attendu que vous naissiez pour avoir une existence propre. Cest parfois un personnage classique dont des livres entiers ont consacré le caractère, les mœurs et lhistoire. Les inflexions de la voix, les attitudes des aînés qui lont interprété avant vous restent longtemps dans les mémoires.
Il existe, il vit. Ne dit-on pas dun bon acteur quil joue « juste » ? Par rapport à quoi ? Et comment le saurait-on, si ce nest par recoupement et ancienne critique ?
Les réactions affectives du personnage sont tenues pour authentiques. Alors quon refuserait toute créance à lacteur dans la vie, le fait dinterpréter, le crédibilise. Lacteur na quà prendre la peine dexprimer ce quil ressent à travers les mots quil dit pour un autre, pour paraître aussi « vrai » que Molière ou Racine lavait imaginé. Tel quen lui-même léternité au lieu de le figer, le modifie et le rend perceptible au temps présent.
Lacteur ressent la rigueur et la précision de la machinerie dramatique du fait que les gestes et les répliques simposent à lui dans leur enchaînement comme autant dimpératifs.
Le rôle se présente comme un être-autre quil doit intérioriser.
Lapprentissage dun rôle est un processus systématique dappropriation de son être-autre par la mémoire, lintuition et la recréation.
Le comédien se trouve en tant quacteur chargé de mission.
Cest la volonté dun auteur disparu qui insuffle chaleur et vie à ses créatures. Sans linterprète qui les réactualise, elles mourraient sur les étagères des bibliothèques.
Une autorité souveraine impose de devenir un autre que soi. Une volonté a la bonté de se soucier de lautre. Cest rassurant et confortable.
Lauteur fait don dun personnage quil a méticuleusement préparé rien que pour celui qui lincarnera.
Ce mandat protège lacteur contre lhomme de la ville, quil est aussi, lorsquil descend des tréteaux.
Même exproprié du personnage, lacteur sait quil ne quittera pas tout à fait le monde de limaginaire.
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Mon intention était décrire une sotie (farce du moyen âge) sous le titre « les Beaux emplois du FOREM. Cest tellement beau le métier dacteur et tellement éloigné de tous les métiers merdiques que lon jette en pâture aux populations grelottantes de faim et de froid, que je nai pas eu le courage déveiller ma seconde nature que des esprits critiques pourraient appeler le mauvais/bon génie de la démolition.