Flaubert « Lidiot de la Famille » ou les embarras du psy.
Létude sur Gustave Flaubert par Jean-Paul Sartre en trois volumes, nous invite après ses 2801 pages à repenser la psychologique de lauteur de Madame Bovary.
En gros, Gustave est un mal aimé qui a très mal pris que Achille-Cléophas, son père, se soit désintéressé de lui quand, ce père, notable rouennais, médecin-chef de lHôpital de la Ville, sest aperçu que le petit Gustave atteignant sa sixième année ne suivait pas les traces de son grand frère et rechignait à la lecture, offrant le spectacle navrant dun idiot, « Lidiot de la famille » comme titre Jean-Paul Sartre.
Doù limmense rancœur de lenfant et son envie non seulement de rattraper le temps perdu, mais encore de prouver au médecin-philosophe quil est meilleur que son aîné, mais aussi que lauteur de ses jours.
Le petit Gustave nen sortira pas indemne. Il finira même par éprouver une haine sourde vis-à-vis de son géniteur, quil ne pourra manifester ouvertement que par la détestation de la terre entière.
Las ! les heures de gloire arrivent avec le parfum de scandale qui entoure la publication de Madame Bovary, mais il est trop tard. Son père meurt avant lengouement du public.
La seule personne auprès de laquelle il aurait aimé être célèbre nest plus là pour quelle reconnaisse ses torts devant la famille Flaubert réunie. Lordalie entre le père et le fils naura pas lieu.
Flaubert achèvera sa vie en 1880 dans la détestation de la bourgeoisie, alors que lui-même en est issu, non pas entraîné par lidée nouvelle du socialisme, les publications fortes de Zola, la semaine sanglante de la Commune de Paris, mais, au contraire, par le goût dune société dAncien Régime qui laurait ennobli, comme savaient le faire les monarques absolus, distinguant le mérite et abaissant le bourgeois.
Je passe sur ses amitiés exclusives avec Louis Bouilhet, Le Poittevin et sporadiques, avec Maxime Du Camp, ses élans et réticences envers sa maîtresse, Louise Colet, tout cela égrené de façon percutante dans son admirable « Correspondance », pour seulement resituer « lesprit » du temps que Gustave partagea avec Jules Renard, Léon Bloy et Maupassant et me poser la question de savoir quel a été lélément le plus déterminant qui lui permit de pousser les feux de son ironie ? Etait-ce la détestation du père ou une critique du romantisme fin de siècle, que Hugo et les autres amants de Louise incarnaient si bien ?
Si lon considère lhumour comme étant lart de traiter gravement des choses légères, Flaubert en était dépourvu. Lhumour est la vengeance symbolique dune personne outrée par labsurdité du monde et la misère qui frappe dindignité une bonne partie de lhumanité. Flaubert, de tout son orgueil, méprisait bien trop ses contemporains pour souhaiter les convertir à quoi que ce soit. Par contre, sa manière de traiter sans avoir lair dy toucher des choses graves avec légèreté, montre à satiété quil maniait lironie comme personne. Il a souvent avancé le nom de Corneille dans sa correspondance, comme sil sen était inspiré. Corneille navait à ses yeux pour seul mérite que dêtre né à Rouen comme lui, et, peut-être davoir écrit de belles et fortes pièces de théâtre, ce que Flaubert, comédien-enfant avant dêtre romancier-adulte na jamais réussi. Dans lœuvre de Corneille pas le moindre soupçon dironie. Quant à lhumour, sil en est, il est le plus souvent involontaire.
Cest bien dans la haine de son père, envahissante, faute de pouvoir lexprimer, que Flaubert a puisé son ironie. Jules Renard qui avait pour Flaubert une admiration profonde y a trouvé les raisons dy détester sa mère et den témoigner par une ironie aussi dérangeante que celle de son aîné, principalement dans son journal.
Aujourdhui, nous traversons une époque si médiocre que même les mots font peur, tant et si bien que la folie des hommes nous interdit lusage de certains mots dénoncés comme contraires à la Loi. Gustave Flaubert aurait certainement pratiqué lironie plus que jamais, sil eût été notre contemporain. Peut-être eût-il remonté dans le temps et égalé Chamfort ?
Qui sait, par crainte que la bêtise nassassinât Socrate une seconde fois, se fût-on satisfait, en 2004, dappeler son « outrage » de lhumour noir, le laissant travailler en paix une matière, la nôtre, fort critiquable, bien que nos « élites » intégrées nen conviennent plus ?