Noël dans la quatrième dimension (âge)
- Bonjour, monsieur Sigebert, voici de la part de Saint-Nicolas.
-Merci.
-Et alors, ça va ? Vous êtes content ?
- Non. Ça ne va pas et je ne suis pas content.
- Eh bien ! tant mieux. Tous les pensionnaires ne sont pas comme vous.
-Puisque je vous dis que ça ne va pas.
- Toujours à rouspéter sur tout. Vous ne croiriez pas. Tandis que vous…
- Quoi, moi ?
-Vous ne vous plaignez jamais. Vous êtes heureux…
-Puisque je vous dis que ça ne va pas !
- On organise une partie de scrabble demain au réfectoire. Vous qui êtes fort en français.
-Combien de fois faudra-t-il vous dire que ça ne va pas ?
- Vous pourrez vous mesurer à la patronne. Lautre jour elle a fait un mot en huit lettres.
- Sybarite.
- Vous lavez retenu ! Quelle mémoire !
- Oui, parce que cest tout ce quon nest pas.
- Oui, vous avez raison, ici, on est bien.
- Un sybarite cest quelquun qui est attaché au confort, aux délicatesses…
- Oui, cest ce que je dis.
-Ici on crève de faim. Le patron nous vole. La patronne se moque de nous et vous, vous leur cirez les pompes.
-Vous préférez regarder le tennis à la télévision, seul dans votre chambre ? Cest dommage pour notre vie associative…
-Quoi notre vie associative ? Cest la Croix-Rouge qui distribue des livres, vous, vous êtes stagiaire, vous ne leur coûtez rien et quand vous passez nous livrer une bouteille de Spa, vous nous la comptez à 1 euro !
- Cest bien ça de boire de leau. On ne boit jamais assez.
-Surtout à ce prix là.
-Demain vous aurez un repas de Noël.
-Cest quoi ?
-Purée aux carottes avec un bon morceau de saucisse.
- Des carottes cuitent à leau ?
-Avec quoi voulez-vous quon les cuise ? Vous vous plaignez que la bouteille de Spa est à un euro, puis vous vous plaignez quon cuise les carottes à leau !
- Cest pas avec du Spa à un euro quon cuit les carottes…
- Voyons, Monsieur Sigebert, ne nous rendez pas la tâche difficile.
-Si vous nous rendiez le séjour agréable, je ne vous rendrais pas la tâche difficile.
- Dites que cest de ma faute que vous navez pas le moral ? Et puis dabord, vous nêtes pas bien ici ?
-Je vous ai déjà dit que non.
- Vous avez tout à votre portée. Des aides-soignantes dévouées, un service impeccable, une grande salle où vous pouvez assister à des concerts…
- Là dernière fois, cétait un accordéoniste avec sa femme qui nous a fait chanter « La Madelon », plus personne avait fait 14-18, sauf elle…
- Tout le monde a trouvé le spectacle magnifique.
-Comment pouvez savoir ? Vous dormiez déjà au Beau Danube bleu !
-Enfin, je peux mettre sur mon carnet que vous ne vous plaignez de rien. Juste que vous êtes un peu mélancolique.
- Puisque je vous dis que si…
-Allais, je vais mettre que laccordéoniste a fait quelques fausses notes…
- Et quon mange de la merde, que la patronne est la reine des salopes et que le patron gratte sur les prix des médicaments. Le cuistot, est daprès lui, un ancien colonial. Je comprends quil soit revenu dare-dare de Kin, sans quoi, en brousse, cest lui qui passait dans son court-bouillon.
- Comme vous êtes drôle ! Je ne me lasse pas de vous entendre. Un peu triste lâge venant, comme les autres pensionnaires… Nous passerons tous par là.
-Plus gagas quici, cest pas possible. En pleine agueusie, sourds et débiles, ils avalent les merdes du cuistot quils trouvent excellentes, se tapent tous les concerts daccordéon et bouffent même les lettres en plastique du scrabble. Ne dites pas non, il en manque toujours une ou lautre après chaque partie, si bien que les plus anciens jeux ont moins de trente lettres… On ne peut plus y jouer quà deux…
- Je suis heureuse, Monsieur Sigebert que vous trouviez le séjour agréable. Je vais le dire à Madame… seulement, vous avez des bouffées de tristesse. Ce nest pas grave. Je le dirai au docteur Lefébure.
-Cest ça. Vous direz à cet escroc que le jour où il fait les tensions à tout un couloir, quil ne prenne plus des visites « domiciles » à tous ses patients.
-Comme vous vous échauffez ! Vous nêtes pas joyeux aujourdhui. Allez, cela ira mieux tout à lheure. Quand serez-vous raisonnable ? Hi hi hi….