La rose pourpre dYork…
Chère M…
Vous avez bien voulu créditer le petit poème que je vous ai lu de quelques éclats mouillés de vos beaux yeux verts.
Que je vous écrive en toute sincérité de la difficulté – non pas daligner des mots qui donnent du sens et de lâme aux choses quils évoquent – mais la difficulté toute simple de garder jusquau bout ce « je ne sais quoi » qui élève un peu la poésie au-dessus de la condition humaine.
Cest quen effet si linspiration est aérienne, ce qui succède lest moins. Les ajouts et les correctifs sont les ennemis du lyrisme, ils deviennent carrément bancroches dans les accords grammaticaux ; car, contrairement aux violons, cest après que lon accorde sa lyre…
Mais comment se passer des corrections nécessaires ?
Le côté charlatan de qui possède un petit talent décriture finit par gâter tout. Cest comme si le don nous apparaissant insuffisant, nous en appellerions à loutrance. Ainsi presque tous les élans du cœur sont alourdis par des suppléments que lon estimait indispensables sur le moment et qui enlaidissent lensemble irrémédiablement.
Ce qui ruine la plupart des initiatives poétiques, cest que leurs auteurs ne saventt pas se borner.
…
Vous avez remarqué comme souvent les photographies qui illustrent mes textes sont dune sincérité qui touche au vulgaire.
Je pense que ces images sont plus souvent pathétiques, quautre chose. Ces clichés sont les reflets de nous tous. Ils nous incarnent, par eux nous ne nous voyons pas tels que nous voulons paraître, mais tels que nous sommes.
Je vous ai dit où jen puisais lessentiel. Avais-je besoin de vous le dire, tant leur origine semble indiscutable ?
Depuis longtemps, je minterroge sur lacteur. Comment il se pénètre de son rôle avant den faire une composition. Autant il paraît certain que Depardieu joue à être Jean Valjean dans Les Misérables, autant il est moins sûr que dans certaines séquences de sa vie professionnelle, une personne qui marchande ses « charmes » tient le rôle de commerçante du sexe jusquau bout. Au théâtre tout est simulé, jusques et surtout les actions extrêmes. On y tue avec un couteau dont la lame entre dans son manche, on y suggère lacte amoureux sans le pratiquer, on y est monstrueux ou saint, sans lêtre. Sur son lieu de travail, la marchande de bonheur paie cash la nature de son service. Elle est ce personnage « vrai » même si lorgasme final est presque toujours simulé. Les visages de ces femmes sont étonnants dexpressions. On est surpris de voir quils ne sont pas tous avinés, détruits par les excès. On y relève quelques sourires point sots, quelques regards sarcastiques. On y découvre malgré lavachissement des corps, une certaine distinction passée, que laccablement des jours na pas effacé.
On voit davantage de caricatures humaines dans les défilés de mode et dans les salons de la bourgeoisie, que dans cette catégorie sociale particulièrement exposée à la critique et au mépris.
Jai donné suffisamment de crédit à lérotisme par rapport à la pornographie dans nos conversations, pour que vous maccordiez le bénéfice du doute, quant à lorigine de lengouement pour ces visages dont aucun nest inexpressif.
Lessentiel dun écrivain vaut par sa façon daborder laccidentel et linfime, de relativiser la profondeur des abîmes..
Dans quelques jours, si un événement ne vient pas en déranger le cours, la vie qui nous aura bizarrement réunis dans des circonstances particulières, nous séparera définitivement.
La conception que jai de nos rapports minterdit de suggérer, plus que je ne le fais, les sentiments que jéprouve pour vous. Je me suis mis volontairement en position difficile, en ce sens que vous avez les moyens de me joindre, alors que je ne les ai pas de vous trouver.
Ainsi vous êtes seule à disposer de lavenir. Et cest très bien ainsi.
Chère M., nexistent que les choses que nous découvrons par nous-même. Je nai que trop imprimé à votre destin une poussée, infime, certes, mais capable de vous balader longtemps dans le vague à lâme des espaces intemporels. Je ne souhaite pas que vous en souffriez.
Il faut ne se méfier de la passion, que lorsquelle est réciproque. Autrement, cest un brasier intérieur quavec le temps on apprivoise et qui nous éclaire encore le jour de notre mort.
Il me suffit de compter pour des moments heureux, ceux que jaurais passés en votre compagnie.
Je vous en suis infiniment reconnaissant.