Une ambition honteuse.
- Tu te bats sinon tu nes rien, le monde ou lascétisme. Et encore, quand ton ambition est incompréhensible pour le plus grand nombre, quelle ne rapporte rien à la finance, alors, elle ne vaut pas un clou, même si elle a une valeur inestimable pour lhumanité. Un nouveau Verdi qui ambitionnerait de travailler à un opéra, son dossier sous le bras à lOnem, on le fout à la porte.
- Par exemple ?
- Sur la puissance de largent ou la malchance de lart ? Un écrivain na quune chance de réussir, cest de prendre une participation chez Gallimard, ou mieux, il rachète le fonds dun petit éditeur. Il se publie. Voilà la puissance de largent. Il socialise les pertes. Sil nest pas lu, la Maison dEdition dilue le bouillon dans le pot-bouille des auteurs.
- Arena, comme Di Rupo la dit, a une brique dans le ventre. Le syndrome Louis II….
-Louis II ?
- Oui… de Bavière. Tu sais le type qui ne pouvait pas voir une colline sans y construire un château.
- Le rapport avec Arena ?
- Comme elle na pas du répondant en suffisance, elle use du pouvoir pour satisfaire son ambition, elle fait casquer le citoyen à sa place.
- Tu as quand même des ambitions que tu ne peux pas assouvir.
- Des rêves au-dessus de tes moyens ou des moyens des autres ?
- Tu penses à quoi en ce moment ?
- Aux cathos.
-Explique.
- Les Evangiles auraient pu être écrits par Marx : égalité des hommes, justice sociale, amour de lhumanité. A défaut de quoi, la crainte des bonheurs ici bas, leffroi bourgeois dune généralisation du sentiment égalitaire, la crainte de lépanouissement du corps et des sens… lambition des Evangiles est revu à la baisse, au point que les téméraires qui veulent suivre les Evangiles à la lettre se font taper sur les doigts.
- Tu as quand même des ambitions accessibles…
- Lesquelles ?
- Lambition de faire du bon boulot à quelque place que tu occupes…
- Dans le domaine des tâches répétitives, un travailleur modeste qui ne réclame rien, a son ambition satisfaite. Lambition à ce stade comporte quand même des avantages moraux.
- Sans blague !
- Le travail distrait le travailleur de sa propre vie. Il le détourne dune introspection difficile, ce qui fait quil ignore que son travail lhandicape, le diminue, lélimine de toute élévation de lesprit. Lambition lempêchant de se représenter tel quil est, il ne voit pas lhorrible solitude qui est la sienne. Le travail est un bon remède à léthique et à lesthétique. Ne sachant distinguer ce qui est beau ou pas, ce qui est moralement acceptable ou pas, il passe ses jours dans une monotonie qui échappe à son entendement. Il na pas le regret dêtre ailleurs, puisque rien ne lintéresse plus que son travail. Son activité amuse sa vanité, trompe son impuissance, au point de croire que son travail influencera jusquau destin des hommes !.
- Surtout que ce travailleur exemplaire dans son effort ne fait pas la comparaison entre ce quil fait dinfime et la mécanique universelle. Il ira jusquà croire influencer le cours des planètes ! Il lui semble ainsi au moment où il nest même plus le maître de lui-même, être le maître de lunivers. Il paraîtra convaincu que par sa volonté, il acquerra au bout de ses efforts, lindépendance, pas loin de le diviniser à ses propres yeux. Il accompagnera le mépris de son employeur pour les chômeurs, de sa propre réprobation.
- Son ambition à lapogée, on peut restructurer son entreprise. Lambitieux sur la paille, ne comprendra pas ce qui arrive. Il se dira victime dune formidable injustice, mais son fonds de naïveté restera intact. Il se vendra à lemployeur suivant avec le même bonheur.
- Oui. Cest classique. A cinquante ans, du dernier employeur à lOnem, le travailleur ambitieux chopera une dépression, parce quil naura rien compris.
- La meilleure des ambitions, cest encore de nen pas avoir…
- Ou alors, une ambition honteuse…
- Quest-ce quune ambition honteuse ?
- Celle, par exemple de bosser le moins possible ou pas du tout.