Tendinite.
« Tes pas sûr de têtre accompli 100 %, tu vois, au boulot, quand tarrives bord du gouffre, pas tout à fait chômeur, pas tout à fait retraité… que dans ta hiérarchie, ils commencent à te faire la gueule. Tes comme qui dirait dans létat du consommateur au comptoir : tas la dose et que le patron du troquet sait quil te vendra plus de la bibine de la soirée. Cest pas peu dire, tu deviens encombrant.
Voilà dix ans quune autre catégorie de loustics est plus à la recherche delle-même que dun emploi. Lun comme dans lautre, tu te dis « Mais, nom de Dieu, quest-ce que je fais dans la vie ? ». Si tas viré américanolâtre, tajouterais « putain » dans tes misères verbales. Exemple « Mais, nom de Dieu, quest-ce que je fais de bon dans cette putain dexistence ? » Cest la même chose, mais cest plus fort.
Tas pas trente six solutions. Chez toi, le désert, bien que la connerie ait peur du vide. Prudente, ta charmante sest barrée. Si elle ne lest pas, vous vous destinez à faire la gueule devant la télé jusquà ce quil y en ait un des deux qui clabote. Dhabitude, cest le mâle, trop rondouillet, infarctussissant, le boyautique à 110 % de matière grasse. Le malheureux est pas armé pour survivre. Si bien que Bobonne libérée à la ménopause na plus quun recours : celui de se jeter dans la peinture à LAca ou louvroir libéral, rayon tricots pour nécessiteux.
Si tas résisté au cancer de la prostate, au stress du travail et que par contre, bobonne sest tapé le col du fémur à cinquante carats et quelle en a pas réchappé vu le concours de circonstance où elle a confondu lhosto avec la descente en kayak de la vallée du Tarn, te voilà dans la panade avec la circonstance aggravante que tes pas capable de cuire un œuf.
Jeté de chez lAntoine Birotteau, parfumeur, chez lequel tas été employé pendant trente ans et qui te fout dehors avec une montre à vingt euros où sur le boîtier tas quand même linscription qui sauve : « Les Etablissements Birotteau à Ernest Poissard, son employé modèle », tes mal préparé à linterrogation décisive. A lécole, on ta appris ajusteur, pas critique de société.
Alors, club des pensionnés, café des anciens du monde moderne, philosophie darrière salle ou reprise des études au niveau zéro ? Pour commencer, tu taffaisses au café du commerce, entre les machines à sous, sur la chaise des départs Ricard. Cest là que tentends quil y a un Popov qui se bricole une porte de sortie à côté des toilettes dans un tour de table où tu peux déballer ta connerie, plus à laise quentre deux hoquets de poivrot.
Ty cours. Le mec est sympa, les vielles folles qui sont là ont manifestement des problèmes « au niveau du vécu », ouais, cest le nouveau dialogue, la phrase à mystère. Pour te mettre à niveau, tu reprends les bouquins qui téchappaient des mains quand tavais que la branlette en tête. Cest le même effet, sauf que cette fois, tes pris par la sieste.
Tu taperçois que tes années Birotteau tont servi à rien, que ty as perdu avec tes cheveux jusquau souvenir de Cadichon lâne savant, tes cinq semaines en ballon et même la petite Cosette quand tétais en âge de la faire monter au rideau entre deux passes chez Ténardier.
Au lieu de te sortir du trou, ça tenfonce un peu plus parce que tu prends conscience que ta connerie, cétait pas des « on-dit » mais des certitudes.
Reste plus que la Religion, mais ça te dit rien non plus. Croire aux couillonnades, purs produits de limagination très ancienne distillée par la peur de linconnu et qui a saisi lhomme depuis lâge des cavernes, cest plus fort que toi, tu peux pas. Cest ce qui te reste de bon sens qui fait que tes pas tout à fait le roi des cons.
Tas plus quune solution, tu tassures « Aristoffe » lAssurance contre le risque de lennui. »
- Cest quoi ce cirque ?
- Cest pour la pub Aristoffe.
- Vous vous foutez de qui, là ? Vous traitez les futurs clients de cons ! Vous espérez avoir un carnet de commande avec ça ?
- On peut toujours essayer. Pourquoi ça ne marcherait pas ?
- Il faut faire rêver, nom de Dieu, et pas mettre les gens dans leur caca.
-Vous maviez demandé un truc réaliste ?
- Une réalité politicienne bon sang ! Une réalité arrangée.
-Mais elle est arrangée, merde, la réalité, tellement arrangée que je peux pas aller plus loin dans larrangement.
-Jentends bien, larrangement pas dans le mauvais sens, le portrait charge, loutrance !
- Mais pas du tout. Cest bien pire ce qui arrive aux débarqués de la cinquantaine, aux naufragés du rêve économique !
- Ecoutez mon vieux, je sais que vous êtes très fatigué, surmené, à bout, que diriez-vous dun petit séjour à Garmisch-partenkirchen ?
- Mais pas du tout, je vais bien.
-Vous avez beaucoup écrit ces temps-ci en dédicace à une certaine M. Vous êtes sûr que vous ne nous faites pas une dépression « chagrin damour » ? Vous savez, ce sont les plus virulentes…
- Aïe ! cessez donc, vous réveillez ma tendinite…